Dominik KOHLHAGEN

 

Gestion foncière et conflits entre agriculteurs et éleveurs, autochtones et étrangers dans la région de Korhogo

(Côte d’Ivoire)

Rapport de mission dans le cadre du programme de recherche "Vers de nouvelles dynamiques entre loi et coutume?" du CIRAD, 2002.

 


Introduction

A - Présentation de la région d’étude

L’espace géographique de cette étude est le département de Korhogo dont la préfecture de même nom forme la troisième ville de Côte d’Ivoire. Les enquêtes, menées de juin à septembre 2002, se sont terminées peu avant les événements militaro-politiques qui ont secoué la Côte d'Ivoire en cette fin d'année.

Le climat de la région d’étude est de type soudanais, chaud et sec avec une saison pluvieuse allant de mai à octobre. Il existe des cours d’eau importants, en particulier le Bandama et ses affluents ; sous l’effet de la sécheresse, certaines rivières ont cependant disparu de leur lit au cours des dernières années. Le sol se caractérise par des cuirasses latéritiques et granitiques ce qui le rend peu fertile à certains endroits. La végétation se caractérise par deux zones distinctes : la zone de savane herbeuse et arborée qui constitue l’essentiel et la zone de forêts galeries le long des cours d’eau.

L’agriculture constitue la principale activité économique. Malgré un certain recul, la culture du coton prédomine nettement. Sur l’année 1997-1998, la production du département a été de 80 000 tonnes. Les principales cultures vivrières sont le riz, le maïs, l’arachide et, dans une moindre mesure, l’igname, le sorgho et l’oignon. Parmi les cultures de rente autres que le coton, la mangue, l’anacarde et le tabac constituent l’essentiel. Le revenu moyen annuel d’un paysan est d’environ 700 €.

Selon une estimation récente, la population du département de Korhogo s’élevait à 553 754 habitants en 1998 contre 390 229 en 1988. La densité est passée de 31 à 46 habitants par km2 et a ainsi augmenté de moitié en 10 ans. Cette croissance a affecté les régions rurales tout autant que la ville de Korhogo, le taux d’urbanisation n’ayant pas connu de forte variation et s’élevant actuellement à 28 %.

La population autochtone est de langue et de culture sénoufo. Il existe cependant aussi quelques villages se disant " dioula " dans lesquels le mode de gestion des terres et les structures lignagères diffèrent. Dans les villages sénoufo, les Mandingues forment la principale population allogène de nationalité ivoirienne. Le nombre d’étrangers sédentaires non-ivoirens (Maliens, Burkinabés et Guinéens en particulier) était de 53 009 en 1998, soit près de 10 % de la population. S’y ajoutent des éleveurs transhumants peul du Mali ou du Burkina Faso dont le nombre exact est difficilement estimable. A l’échelle nationale, cette proportion d’étrangers parait relativement basse, le pourcentage étant estimé de 25 à 35 % sur l’ensemble de la Côte d’Ivoire.

B - Objet de l’étude

A la différence des régions du sud, le Nord de la Côte d’Ivoire ne connaît pas de problème foncier généralisé opposant autochtones et allogènes. Les conflits les plus fréquents concernent la délimitation de terrains et opposent généralement des exploitants autochtones ou des villages voisins. Ceci étant, la forte croissance démographique, le développement des cultures pérennes et l’introduction de l’élevage, les conséquences écologiques et les mouvements de population dus aux sécheresses sahéliennes ont entraîné une pression foncière croissante qui ne va pas sans soulever de nouvelles questions quant à la situation des allochtones.

Par ailleurs, la loi de décembre 1998 sur le domaine foncier rural, en permettant l’établissement de certificats fonciers collectifs après constat des " droits coutumiers ", pourrait faire resurgir des conflits aujourd’hui seulement latents en remettant en cause des droits que des allogènes tenaient pour acquis. Si l’application de la loi s’avère effective, l’exclusion des non-nationaux de la procédure d’immatriculation n’ira pas, non plus, sans soulever des problèmes.

D’autre part, les conflits sur la gestion du terroir opposant éleveurs et agriculteurs dans la région ne sont, malgré de nombreuses initiatives, toujours pas résolus. Là encore, la loi de 1998 ne reste pas neutre en ne s’intéressant qu’aux droits fonciers agraires des populations sédentaires - au détriment des droits pastoraux.

L’objectif de cette étude est de faire le point sur la situation actuelle des conflits fonciers entre autochtones et allogènes, agriculteurs et éleveurs en mettant un accent particulier sur les modes de gestion de ces conflits et leur évolution récente. Les conséquences des tourments politiques en Côte d'Ivoire n'iront certainement pas sans avoir d'incidence sur ces observations, mais ne devraient pas fondamentalement remettre en cause l'analyse qui se fonde pour l'essentiel sur des données recueillies au niveau villageois.

I - Les conflits autochtones-étrangers

Avant de s’intéresser de manière plus approfondie à la situation actuelle, il convient d’exposer de manière générale la place impartie aux étrangers dans les traditions juridiques sénoufo.

A - Préliminaires

Une première question qui s’impose est celle de la définition de l’étranger.

A-1 - Définition de l’" étranger "

Une distinction doit être faite entre l’étranger dans un sens restreint, celui qui ne vient pas de la région et ne partage pas langue, coutumes et conceptions juridiques, et l’étranger dans son sens le plus large, celui qui ne vient pas du village, n’appartient pas au lignage et ne partage pas les mêmes droits à la terre.

A-1-a - L’étranger du pays sénoufo

A l’échelle régionale, la notion d’" étranger " revêt un caractère ambivalent. Interrogés directement sur cette notion, beaucoup d’interlocuteurs sénoufo comprennent le terme dans le contexte national et se désignent eux-mêmes comme tel : comme " étrangers " à ce qui est éprouvé comme une culture d’Etat dominée par les " sudistes ".

En se détachant du sens particulier qu’a pu prendre le terme, il existe bien sûr aussi de véritables " étrangers " parmi les Sénoufo : ceux ou celles qui ne partagent pas la culture (notamment celle des rites initiatiques) et la langue. Le Bété de Côte d’Ivoire, en ce sens, est bien plus " étranger " que le Sénoufo du Mali ou du Burkina Faso. Il existe cependant des nuances assez significatives pour ce qui est de l’intensité avec laquelle l’origine d’une personne est ressentie comme " étrangère ".

Tout d’abord, l’identité sénoufo elle-même est quelque peu divisée par des différences entre les sous-groupes, celles-ci se limitant pourtant essentiellement à des variations linguistiques. Les habitants de la région de Korhogo, principalement des Thiembara, ne peuvent suivre une conversation entre Sénoufo du sud d’origine tagbanan qu’avec beaucoup de difficultés. Souvent, le sous-groupe minoritaire tend à habiter aux abords du village et à être différencié.

Parmi les populations non-sénoufo, la communauté mandingue est la plus importante. Même si elle se compose en très grande partie de Malinké, la désignation communément retenue est celle de " Dioula ". L’implantation trouve ses origines au temps des conquêtes de Samory Touré et de l’islamisation du pays.

Les rapports entre population sénoufo et population mandingue revêtent des caractéristiques très particulières. La culture mandingue, assimilée d’une part à la sagesse musulmane, est également souvent associée au commerce et, de ce fait, à la prospérité et la réussite sociale. Cette marque valorisante explique, selon de nombreux interlocuteurs, que beaucoup de noms de personnes et de lieux sénoufo ont été changés depuis le 19ème siècle en des noms d’assonance mandingue. Aujourd’hui, les noms de lieux se terminant par –dougou abondent, certains ne portant même plus aucune marque de l’ancienne désignation sénoufo : c’est le cas d’une sous-préfecture, l’ancien village de Pofiré (banco blanc en sénoufo) devenu Tioroniaradougou (du mot tiogné signifiant clarté en sénoufo – à comprendre clarté/lumière apportée par la culture mandingue). Par ailleurs, les désignations des 6 lignages sénoufo connaissent chacun un équivalent mandingue. De nos jours encore, des changements de patronyme, dans un sens comme dans l’autre, s’effectuent en suivant cette logique. Ils peuvent être motivés par un besoin de marquer une ascension sociale ou, à l’inverse, par un souci de retour à une certaine authenticité.

Même si on assiste par moments à une politisation du phénomène, des villages demandant à l’administration de suppléer le suffixe –dougou par l’équivalent sénoufo –kaha, l’enchevêtrement des noms illustre avant tout la forte proximité avec laquelle les populations sénoufo vivent la présence mandingue. Au cours des entretiens, bon nombre de villageois ont souligné que les " Dioula " ne sont pas de véritables " étrangers ". Leur présence est vécue comme fait historique, leur intégration se traduit par l’apprentissage mutuel des deux langues.

Il convient cependant de souligner que si les " Dioula " sont nombreux, la très grande majorité d’entre eux vit du commerce et ne pratique pas l’agriculture. De ce seul fait, les conflits fonciers les impliquant sont rares.

En dehors des mandingues, le principal groupe non-sénoufo est formé par les Peul. Leur implantation qui s’est beaucoup renforcée avec le développement de l’élevage depuis les années 1970 est encore relativement récente. Rarement désigné par son patronyme, " le Peul " et sa famille vivent souvent de manière assez isolée. Beaucoup de familles résident dans des campements. Même les personnes installées au sein des villages ne parlent souvent pas sénoufo. Les Peul forment le principal groupe très clairement distinguable et pour lequel l’appellation d’" étranger " ne prête à aucun doute.

Sinon, très peu d’allogènes vivent en milieu rural. Commerçants, coopérants et fonctionnaires d’autres origines résident presque exclusivement à Korhogo et ne sont pas directement concernés par les questions foncières.

A-1-b - L’étranger du village

L’" étranger " tel qu’il est perçu à l’échelle villageoise est compris de manière très large. Si la notion d’ancêtre est relativement peu évoquée chez les Sénoufo, l’appartenance au lignage n’en est cependant pas moins un des principaux générateurs d’identité.

L’identification de l’appartenance au lignage ne va pourtant pas toujours sans poser de problèmes.

Traditionnellement, la succession se fait d’oncle en neveu et suit les règles de la matrilinéarité tout en excluant les femmes de l’héritage. Les bénéficiaires sont les fils de la sœur aînée de même mère. Ceci étant, dans certains villages, ce régime de succession semble actuellement être remis en question et tend à évoluer vers un régime patrilinéaire, système favorisé par le droit des successions étatique qui n’accorde d’héritage qu’aux descendants directs. Un assez grand nombre de conflits pendants au tribunal de Korhogo témoigne de l’ampleur avec laquelle se produit le phénomène.

A-2 - L’étranger en droit foncier sénoufo

A-2-a - Généralités

Conceptions fondamentales du droit foncier sénoufo

En pays sénoufo, la terre est strictement incessible. L’accès aux terrains est régi par le chef de terre, le tarfolo (tar=terre, folo=gestionnaire). Un don symbolique, généralement un bout de bois (permettant au tarfolo de se réchauffer à la tombée de la nuit), quelquefois aussi un poulet, et une courte déclaration suffisent pour acquérir un droit à cultiver une surface. Dans certains villages, les femmes peuvent théoriquement prétendre à ce droit sans restriction, mais ne le font en pratique qu’en cas de conflit conjugal ou de décès du mari. En règle générale, c’est avec lui que les femmes négocient des portions de terre devant leur permettre de subvenir à leurs propres besoins. Elles y exploitent principalement le nécessaire pour la nourriture quotidienne et pour leurs habits. Ce sont elles qui exploitent les bas-fonds, les cultures de l’arachide et du riz rendant l’homme impuissant selon la croyance traditionnelle.

La terre possède un important pouvoir mystique. Prendre un morceau de terre dans la main constitue une protection contre des esprits maléfiques. Le Logo est le fétiche de la terre.

Lorsqu’un conflit foncier survient, celui-ci doit nécessairement être tranché par un collectif, le fodonon, qui procède aux sacrifices nécessaires. A défaut de sacrifices, toute exploitation prématurée se solde par la mort de l’exploitant. Même lorsqu’un conflit n’était pas connu par l’intéressé ou demeurait suspendu depuis longtemps, cette sanction survient.

Situation des étrangers

Selon la tradition sénoufo, l’appartenance au lignage n’est pas une condition pour acquérir un droit sur la terre. Tout étranger s’adressant au tarfolo selon la procédure usuelle peut y prétendre.

Un étranger se voit refuser la terre si le chef de terre juge que son attitude n’est pas " de bon sens ". Tel est le cas s’il se révèle incapable d’exploiter convenablement la terre ou s’il envisage procéder à des cultures interdites (pouvant être, selon les villages, les oignons, les tomates, voire même le maïs). Aussi, l’occupant ne doit-il pas se montrer ingrat. Si le prêt de terre n’est pas soumis à rétribution, le chef attend cependant de l’exploitant un signe de reconnaissance tel l’offre rituelle du bout de bois, d’une petite partie de la récolte ou d’un service.

Le prêt devant généralement être renouvelé tous les ans, l’étranger peut se voir retirer ses droits après chaque cycle d’exploitation.

En aucun cas, quiconque ne peut acquérir la terre au sens de la propriété du droit civil. C’est d’ailleurs précisément cette raison par laquelle de nombreux chefs de terre chefs expliquent leur refus d’accepter d’un étranger demandant la terre une contrepartie dépassant le don symbolique. Si la terre semble être tantôt perçue comme propriété du chef ou du collectif villageois, tantôt comme un bien immatériel simplement géré par le tarfolo, la sauvegarde du lien entre la terre et le village face aux étrangers constitue toujours une préoccupation première.

A-2-b - Les sources de conflits

Ainsi, la principale source de conflit concerne précisément la restitution des terres. L’originalité du régime imparti aux étrangers en droit sénoufo est parfois mal comprise par les bénéficiaires qui conçoivent différemment leurs droits.

Tel est par exemple le cas lorsque l’étranger procède à la cloison de terres attribuées, acte qui constitue la marque d’une certaine assise. Il semble que certains villages refusent catégoriquement de telles délimitations. Le responsable du PNAGER-Nord rapporte qu’à Koutiafolo, dans la sous-préfecture de Sirasso, les villageois sont allés jusqu’à remettre en cause la légitimité du tarfolo après que celui-ci eut autorisé un projet de cloisonnement au bénéfice d’un jeune non issu du village.

La plupart des conflits aujourd’hui se comprennent mieux encore à la lumière des transformations sociales récentes.

B - Evaluation de la situation actuelle

B-1 - Le contexte des transformations sociales récentes

La situation des étrangers connaît actuellement des changements assez importants. Plusieurs nouveaux éléments survenus à l’échelle régionale et nationale ont sensiblement influé sur les problèmes fonciers tels qu’ils se présentent actuellement.

B-1-a - Contexte local

Le contexte local est surtout marqué par des transformations au sein de la société sénoufo avec, d’une part, l’affirmation croissante de la famille nucléaire par rapport à la communauté villageoise et, par ailleurs, un mode de gestion foncière de plus en plus fortement marqué par le souci des autochtones de pérenniser leurs droits à la terre. Cette évolution affecte directement les droits accordés aux étrangers.

L’individuation des prêts de terre

Le mode de fonctionnement traditionnel sénoufo accorde une place prééminente au tarfolo comme chef de terre villageois. Cependant, dans de nombreux villages, ce pouvoir tend aujourd’hui à être partagé entre plusieurs chefs.

Une explication probable de ce phénomène est à voir dans les conséquences du développement de la culture du coton. Alors que la restitution des terres laissées en friches pouvait auparavant se faire après chaque récolte, cette pratique s’est peu à peu transformée. Les cultures cotonnières nécessitant des défrichements et des investissements plus importants, il a paru légitime d’accorder un droit plus durable aux exploitants. Ainsi, il est aujourd’hui de coutume que chaque famille dispose de manière permanente de ses propres terres que le chef de lignage attribue à son tour aux différents exploitants. Aujourd’hui, dans de très nombreux villages, les habitants précisent ainsi qu’il n’existe pas un mais plusieurs chefs de terre. Le tarfolo continue à disposer des plus grandes surfaces et intervient en cas de conflits entre ou au sein des familles ; son autorité morale reste très importante. Mais le rôle qu’il incorpore correspond souvent bien moins à celui de gestionnaire villageois qu’à celui de fédérateur entre les différents groupes de gestionnaires.

Dans de nombreux villages, des étrangers peuvent ainsi obtenir un droit à la terre sans s’adresser personnellement au tarfolo. Ce dernier sera pourtant régulièrement consulté par le chef de famille avant que celui-ci ne prenne sa décision.

Un problème qui se pose aujourd’hui aux étrangers s’adressant directement au tarfolo est que celui-ci, s’il peut toujours concéder une terre laissée en friche par une famille, respectera cependant régulièrement le droit de préemption de cette famille. Il semble que cette réserve n’est pas toujours comprise par les nouveau-venus. Nombreux sont ainsi les cas où des étrangers se sont vus retirer au dépourvu des exploitations après le retour " à la terre " d’un jeune du village.

Dans d’autres cas, au contraire, les étrangers profitent eux-mêmes des nouveaux modes de gestion et voient leurs droits renforcés. En effet, au lieu de réattribuer annuellement la terre aux étrangers, de nombreux villages la concèdent aujourd’hui à vie. Le renouvellement du prêt n’est alors rediscuté qu’avec les héritiers après la disparition de l’exploitant.

Le conditionnement des prêts de terres

Une autre modification des modes d’attribution des terres se profile avec l’importance accrue du conditionnement des prêts de terrains. Alors que vis-à-vis du tarfolo les familles du village disposent d’une assez grande liberté pour ce qui est du choix des cultures privilégiées, il n’en est souvent pas de même pour les étrangers occupant les terres villageoises ou familiales. Aujourd’hui, il leur est systématiquement demandé d’exclure les cultures pérennes qui, pourtant, depuis la chute des cours du coton, sont économiquement les plus viables. Le principal intérêt que présente encore la culture du coton est en effet la possibilité d’obtenir des engrais à crédit. Les anacardiers, manguiers et arbres à karité, tout en nécessitant un investissement initial, s’avèrent aujourd’hui économiquement bien plus intéressants.

Malgré ces considérations, c’est encore le souci d’éviter une pérennisation des droits accordés à l’étranger qui prime. Si, dans la logique du droit foncier sénoufo, une restitution même des plantations durables pourrait être envisageable, le problème qui se pose ici est celui de la propriété civile. Dans la quasi-totalité des villages est évoquée l’image de la personne qui, après avoir planté ses arbres, cherche " le papier " à la mairie.

B-1-b - Contexte national

Le débat sur l’ivoirité

Il semble que le contexte national, en particulier celui des débats sur l’ivoirité et des violences commises envers des étrangers, n’a que très peu affecté les relations entre autochtones et allogènes dans la région de Korhogo. Peut-être même que les événements survenus en 1999-2000 ont créé une certaine compassion avec " l’étranger ", et si ce n’est qu’à travers l’identification avec ce terme. Par opposition à ce qui est dénoncé comme la xénophobie des " sudistes " dont ils se sentent eux-mêmes victimes, de nombreux Sénoufo soulignent expressément l’hospitalité que leur population affiche envers les allogènes. Des interlocuteurs du village de Torgokaha, affirmant que les populations du sud auraient voulu tuer délibérément tous les Baoulé, Sénoufo et – encore plus particulièrement – Dioula, ont souligné le lien qui unit les trois sociétés à travers cette cause commune.

Si le débat sur l’ivoirité a certainement pris un tournant anti-" nordiste " et anti-musulman, cette perception doit cependant aussi être comprise au vu des données démographiques, l’immigration et la pression foncière étant bien moins importantes dans la région de Korhogo que dans les régions forestières.

Par ailleurs, ce que représente souvent le " nordiste " dans le sud du pays ressemble de manière surprenante à ce que peut être " le Peul " dans les propos de nombreux Sénoufo : irrespectueux, ingrat, arrogant, violent, souvent même criminel… Si la montée de la xénophobie en Côte d’Ivoire a peut-être été moins marquée dans le Nord, celui-ci connaît cependant, à une moindre échelle, des problèmes similaires ; des cas de violences et même d’homicides, opposant notamment autochtones et Peul, sont régulièrement rapportés dans la région. La raréfaction des terres cultivables, phénomène national, y contribue également à une pression croissante dont les étrangers sont les premiers à ressentir les conséquences.

La loi de 1998 et ses décrets d’application

Interrogés sur l’article premier de la loi de 1998 relative au domaine foncier rural (stipulant que l’accès à la propriété foncière est réservé aux personnes physiques ivoiriennes), les personnes renseignées sur ce texte remettent régulièrement en cause cette disposition. Tel est le cas du chef de canton de Guiembé qui en dénonce le caractère xénophobe envers les non-nationaux nés et éduqués en Côte d’Ivoire. Ceci étant, le problème des " étrangers " est, dans ce contexte aussi, généralement perçu comme une question ne se posant que dans le sud du pays.

Dans les faits, il s'avère que c'est précisément dans le cadre de la mise en pratique de la loi que transparaît une certaine réticence à accorder des droits renforcés aux populations nouvellement installées. Ainsi, dans les villages où les Comités de Gestion Foncière Rurale prévus par un décret d'application ont été mis en place, aucun étranger ne figure parmi ses membres.

Ce déficit de représentativité ne concerne pas seulement les étrangers, mais de manière encore bien plus flagrante les femmes ou encore, souvent, les jeunes. De fait, les Comités de Gestion reprennent simplement les mêmes choix hiérarchiques que la société villageoise connaissait jusqu’à présent.

B-2 - Etudes de cas

Les villages visités dans le cadre de cette étude et dans lesquels ont pu être effectués des entretiens sont au nombre de 13. Ils se situent tous dans les sous-préfectures de Korhogo, Tioroniaradougou et Guiembé. La sélection de trois villages de la sous-préfecture de Korhogo devrait permettre de donner un aperçu général des différentes constellations rencontrées.

B-2-a - Torgokaha

Torgokaha est un village relativement important à 9 kilomètres de Korhogo sur la route principale menant à Bouaké (et Abidjan). Se trouvant à proximité d’un centre d’évangélisation, la plus grande partie des villageois pratiquant une religion monothéiste est attachée à la religion chrétienne. Torgokaha compte ainsi trois lieux de culte chrétiens et aucune mosquée. Les relations entretenues avec les villages voisins semblent être bonnes. Malgré quelques commerçants dioula installés aux abords de la route, les étrangers sont peu nombreux.

Lors de premiers entretiens et interrogés à maintes reprises sur les problèmes rencontrés avec la présence d’étrangers, aucun incident particulier n’a été signalé par les villageois, qu’ils soient sénoufo ou non. Et pourtant, au cours des études de terrains, un des trois Peul habitant Torgokaha quitte subitement le village avec sa famille sans même faire d’adieux à ses voisins. Employé par les villageois pour garder leurs troupeaux de bœufs, l’homme avait laissé divaguer les bêtes sur un champ où elles avaient causé des dégâts. Il semble que le paysan qui était sur les lieux a trouvé le bouvier somnolant sous un arbre, lui a ordonné de rassembler les bœufs errants et l’a ensuite violemment fouetté avec une corde. La nuit suivante, le Peul a décidé de sa fuite. La quasi-évidence avec laquelle cet événement a été vécu aussi bien par les villageois que par le bouvier lui-même qui, aujourd’hui, travaille dans un village sénoufo voisin, illustre la délicatesse avec laquelle doit être appréhendée la notion de " conflit " ou de " litige ".

Un différent foncier récent impliquant un étranger, mineur pourtant et ayant été résolu à l’amiable, n’a également été dévoilé par les villageois qu’après un mois d’enquêtes. Un Sénoufo ayant fui son village par crainte de forces mystiques s'était installé sur un lopin de terre qu'il croyait abandonné et refusa de le quitter lorsque le véritable ayant droit l'y avait surpris quelques mois plus tard. La décision du chef de terre qui eut à trancher le conflit donna droit à l'étranger d'y demeurer pendant encore 3 ans, décision acceptée sans contestation.

Au sens du droit foncier, l’étranger à Torgokaha est toute personne qui n’appartient pas au matrilignage. Si de nombreux hommes nés de mère d’un autre village ont obtenu le droit de cultiver la terre de leur famille paternelle, les anciens pourtant s’accordent pour refuser à ces hommes de planter des arbres. Cette interdiction se perpétue même pour les générations suivantes qui continuent à vivre avec la conscience de n’être que des invités et de devoir, en cas de litige, repartir dans le village du matrilignage avec lequel ils gardent généralement un contact étroit. Ce lien étroit contraste aux yeux de l’observateur extérieur avec l’autorité paternelle qui, dans ces familles, paraît bien plus importante que celle de l’oncle.

L’interdiction de pratiquer des cultures pérennes est contestée par de nombreux jeunes qui ont tendance à l’expliquer plutôt par la peur des pères d’être supplantés par leurs propres fils. Ce qui est ressenti comme de la pure jalousie est perçu comme d’autant plus contradictoire que les jeunes se disent assez obligés envers leur père pour lui faire partager leur richesse. La divergence de perception entre les générations traduit probablement la transformation progressive du régime successoral et de filiation vers un système patrilinéaire.

En quoi la divergence des points de vue a mené à de véritables conflits n’a pas été dévoilé. Il semble cependant que l’autorité des pères est ressentie comme telle que les contestations ouvertes sont difficilement envisageables.

B-2-b - Waraniéné

Waraniéné se situe à 6 kilomètres de Korhogo sur une voie reliant la piste de Sirasso à Torgokaha. Les deux villages sont distants de 3 kilomètres. Waraniéné présente l’originalité d’être partagé en deux parties : l’une musulmane et se disant " dioula ", l’autre sénoufo et animiste. Alors que l’économie du quartier sénoufo repose sur l’agriculture, notamment la culture du coton, la partie " dioula " vit du tissage et de la commercialisation de toiles et de tenues traditionnelles sénoufo.

Les " Dioula " forment la population autochtone et sont majoritaires en formant environ 60 % des habitants. D’origine sénoufo, ils étaient agriculteurs et pratiquaient le poro avant de se convertir à l’islam et de commencer à commercialiser des produits finis. Aujourd’hui, la langue dioula est la langue courante, le poro n’est plus pratiqué et le système de filiation est patrilinéaire. Un partage des terres entre les familles a été opéré de longue date et il existe ainsi plusieurs chefs de terre dont la fonction se transmet de père en fils. Les femmes n’ont aucun droit à la terre. En cas de litige, un chef villageois appelé tarfolo selon la dénomination sénoufo intervient. Les patronymes mandingues ont été adoptés selon la logique décrite plus haut. Seules quelques familles de " véritable " origine mandingue portent des noms tels que Fofana, Konaté ou Keïta et sont généralement désignées par " les Fofana " pour marquer leur différence avec les " Dioula ". Elles vivent parmi les autochtones et partagent leurs activités.

Le quartier " sénoufo " se situe en retrait du village. Ses premiers habitants, venus de la région de Mbengué et d’origine fodonon, se sont vus accorder les terres que les autochtones avaient délaissées en s’adonnant au commerce. Les habitants n’ont jamais cessé d’être considérés comme nouveau-venus. Ainsi, alors que les Sénoufo immigrés sont seuls à accorder une importance religieuse à la forêt sacrée du village, ce sont les autochtones convertis à l’islam qui en sont les gestionnaires. Lorsqu’une branche tombe à terre, c'est le chef " dioula " qui décide de son utilisation.

Pour ce qui est des terres cultivables, elles sont accordées de manière durable au villageois sénoufo qui disposent de leur propre chef de terre. Il semble cependant que ce droit est actuellement contesté par des Dioula désireux de cultiver des manguiers. Les Sénoufo, quant à eux, n'ont à ce jour pas le droit de pratiquer des cultures pérennes.

Les étrangers n'appartenant pas au groupe des Sénoufo installés doivent demander l'attribution de leurs terres au chef dioula. L'autorisation n'est accordée que pour un an et doit alors être reformulée. Actuellement, le tarfolo refuse cependant de satisfaire tout nouveau requérant en raison de la raréfaction des surfaces cultivables.

B-2-c - Dih

Le village de Dih se situe à 15 kilomètres de Korhogo sur une piste rejoignant la route de Boundiali. L’attachement aux croyances sénoufo y est très vivace ; les religions monothéistes occupent une place de second plan. La localité se compose en réalité de deux villages : Dih, où vit la totalité de la population, et Nonfou, village déserté à une quinzaine de kilomètres autour duquel se situent la plupart des terres cultivables. Il existe deux chefs de terre distincts.

Pour expliquer cette division, les notables évoquent l’action d’un fétiche qui aurait appelé Dih et Nonfou à s’unir. Certains villageois cependant rapportent une histoire plus complexe. Dans un passé lointain, le village originel de Nonfou aurait été déserté par ses habitants suite à un conflit survenu entre les forgerons et les autres villageois. Le chef de village, redevable à des forgerons qui avaient creusé des tombes à sa demande, aurait préféré les tuer que de les payer. Suite à cet événement, les autres forgerons du village auraient enterré une houe dans un champ, procédé qui, par le jeu de forces occultes, empoisonne les futures récoltes. Ainsi, la population a dû fuir pour fonder le village de Dih. Une partie d'entre eux est revenue à Nonfou après plusieurs générations. Lorsque, vers le début du dernier siècle, de nouvelles calamités frappent le village de Nonfou, les villageois craignent une résurgence et se réfugient de nouveau à Dih, sans pour autant renoncer à cultiver les champs à Nonfou.

Si aujourd’hui Nonfou est inhabité, la plupart des habitants de Dih continue à exploiter les terres attribuées à ce village. Le tarfolo de Nonfou, résidant lui-même à Dih, constitue la première autorité et semble même être perçu comme un véritable propriétaire terrien par les villageois. Le tarfolo de Dih gère la petite partie de terres rattachée à ce village et entretient de très bonnes relations avec son homologue. Les deux chefs décident vraisemblablement de concert.

Au sein de la communauté villageoise, la question des étrangers relève ainsi d’une certaine complexité dont l’appréhension nécessiterait des recherches de terrain plus approfondies. Selon les renseignements recueillis, les habitants originels de Dih ne disposent pas des mêmes droits sur les terres de Nonfou que les autochtones émigrés de ce village. Il leur est demandé de reformuler une demande d'attribution après le décès de l’ayant droit. Et surtout, il ne leur est pas permis de procéder à des cultures pérennes. Des conflits à ce sujet n’ont pourtant pas été signalés.

Le problème majeur rencontré dans la cohabitation avec des étrangers concerne la présence de Peul qui est vécue comme un véritable traumatisme par le village. Si le principal sujet de conflit concerne les dégâts causés par les troupeaux de bouviers, les Peul vivant au village et pratiquant l'agriculture sont pourtant tout autant perçus avec méfiance. Leurs enfants, travaillant aux champs avec les autochtones et parlant le sénoufo, sont exclus du poro qui, dans d'autres villages, est généralement aussi ouvert aux allogènes.

Cette situation semble surtout s’expliquer par la rancune ressentie envers Djimel, un Peul qui s’était vu attribuer une parcelle plusieurs décennies auparavant. Les villageois relatent de nombreuses mésaventures concernant divers impayés, des destructions causées par des bœufs que Djimel avait fait garder et le mauvais entretien de ses terres. Ils déplorent que différents recours auprès des administrations soient restés sans suite et doutent de l’impartialité des autorités. Le souvenir de la tentative de boucher une source afin d’empêcher le troupeau de Djimel d’accéder à l’eau se résume essentiellement à l’intervention de forces de l’ordre éprouvée comme une grande humiliation. Les villageois rapportent qu’ils avaient été obligés à enlever en présence des policiers et " les mains nues " les piquets qu’ils avaient fixés, puis de remettre les poissons qu’ils avaient pu prendre pendant ce travail à Djimel. Peu après cet événement, la mort inexpliquée d’un bœuf a entraîné la condamnation d’un notable à un mois de prison.

A la mort de Djimel, les chefs de terre ont refusé la cession de ses droits à son héritier. Selon les villageois, le sous-préfet les aurait alors incité à accorder le terrain en question à Ifra, un autre Peul vivant à Korhogo, qui, tel qu’il se serait avéré plus tard, n’aurait agi que sous couvert d’un fils de Djimel. Il s’en est ensuivi une série de conflits et la réattribution d’un terrain plus restreint à Ifra. En juillet 2002, ce dernier a saisi la sous-préfecture car, après avoir continué à cultiver son ancien champ, un jeune du village avait, avec l’accord du tarfolo, semé du coton par-dessus ses semances de maïs.

II - Les conflits agriculteurs-éleveurs

Dans la région de Korhogo, le principal conflit concernant la gestion de l’espace et impliquant des étrangers est celui qui oppose agriculteurs et éleveurs. Un exposé du conflit et des réponses à présent apportées permettra d’évaluer de manière critique la situation actuelle.

A - Préliminaires

A-1 - Exposé du conflit

Après un bref rappel des origines historiques et des principaux sujets de discorde, il sera possible de détailler les problèmes de gestion qui caractérisent le conflit.

A-1-a - Les origines du conflit

Historique

Jusque dans les années 1970, l’économie de la région de Korhogo reposait presque exclusivement sur l'agriculture. L’élevage se limitait essentiellement aux ovins, caprins et la volaille. Si la concession Sénoufo comportait parfois un parc à bœufs, celui-ci était réservé à la vente pour permettre le financement de grands événements (mariages, funérailles…). L’autoconsommation et la commercialisation n’étaient pas usuelles.

Le développement de l’élevage bovin est dû à une volonté politique nationale visant à mieux assurer l’autosuffisance alimentaire du pays. En 1972, 12 milliards de F CFA étaient consacrés à l’importation de viande (dont 85% de viande bovine). A partir de 1974, suite à la sécheresse dans les pays sahéliens exportateurs, les prix s’envolent ; en 1981, l’importation représentait 31 milliards de F CFA. Le programme de développement pastoral est ainsi devenu une priorité du gouvernement central. Les vastes étendues des savanes du Nord de la Côte d’Ivoire furent jugées les plus favorables pour l’accueillir.

Le projet ayant surtout été conçu dans cette perspective écologique, son impact socio-économique et foncier a été quelque peu négligé. Parmi les populations autochtones, l’introduction accélérée de l’élevage et de la culture attelée s’est heurtée aux logiques de subsistance établies et au manque de structures foncières appropriées. La réussite du programme ne s’est ainsi avérée possible qu’avec l’appel à des bouviers allogènes. Chassés par les sécheresses, ce sont alors tout particulièrement des populations Peul d’origine malienne et burkinabé, expérimentées dans l’élevage de zébus, que voit arriver la région. Généralement salariés pour garder les troupeaux de propriétaires Sénoufo ou Malinké, beaucoup de bouviers se sont peu à peu constitué leur propre parc de bœufs. S’y ajoutent des éleveurs peul venus directement avec leur propre cheptel et recourant soit à des bouviers salariés soit à de la main-d’œuvre familiale.

Les sujets de conflit

Très vite ont surgi des discordes entre ces éleveurs et les agriculteurs anciennement installés, le principal sujet de conflit ouvertement énoncé concernant la sécurité des cultures. Les dégâts engendrés par les troupeaux des transhumants - et, dans une moindre mesure, par ceux des sédentaires - ont en effet rapidement pris une ampleur assez considérable.

Des litiges plus généraux émanant de ce problème portent sur les voies de déplacement des troupeaux lors de la transhumance et un aménagement des surfaces cultivables prenant en compte la nécessité de ces déplacements. Le manque de respect mutuel des calendriers pastoral et agraire donne également lieu à des différends.

Les éleveurs déplorent par ailleurs l’appropriation illégitime de fumures par des agriculteurs revendiquant des terrains ainsi valorisés. Par moments, ils se voient même aussi confrontés à des empoisonnements de cheptel.

Des destructions de cultures causées par des feux précoces donnent également lieu à des accusations mutuelles.

A-1-b - Les problèmes de gestion du conflit

Les sujets de discorde ne présentent pas d’originalité particulière et ne sauraient pas manquer dans un espace où l’association entre agriculture et élevage ne s’est développée que récemment. Ce qui surprend plus est le tournant parfois très violent qu’a pris le conflit et l’absence d’apaisement qui caractérise son évolution depuis 30 ans. En effet, de très nombreux cas de violence physique, d’empoisonnement de cheptel, voire même de meurtres sont à déplorer.

Afin de permettre l’appréhension du problème agriculteurs-éleveurs et des difficultés qui l’enraient, il convient donc de s’interroger tout particulièrement sur les raisons qui pourraient être à l’origine de cette véhémence.

Les divergences cosmogoniques

La principale raison devrait être d’ordre sociologique. Les logiques dans lesquelles s’inscrivent l’activité des agriculteurs et celle des éleveurs diffèrent considérablement ce qui suscite un important problème de compréhension entre les deux parties.

Historiquement, l’activité économique Sénoufo ne s’est pas fondée sur des échanges commerciaux et ignore les considérations de rentabilité pouvant en découler. Le rapport à la terre est fortement marqué par la force mystique qui lui est attribuée : rappelons que prendre un morceau de terre dans la main constitue une protection contre les esprits maléfiques ; d’autre part, le non-respect de certaines pratiques propitiatoires, des temps de repos ou d’obligations alimentaires se soldent par de mauvaises récoltes ; et certains interdits - tels que les rapports sexuels en brousse - sont sanctionnés de mort par la terre même. L’occupation d’une terre suppose toujours l’agrément préalable du tarfolo. Le souci de se conformer à ses exigences prime sur une quelconque volonté d’en tirer profit.

La cosmogonie Peul diffère. Si le cadre de cette étude ne permet pas de s’arrêter sur le système de valeurs hautement complexe des populations peul, il convient simplement de relever certains constats qui ont pu être faits lors de quelques entretiens succincts. Rien que les lieux et la forme de ces rencontres se sont présentés de manière très originale : non devant une case, en groupe et avec l’agrément des chefs, mais individuellement, de manière spontanée, en bordure d’un champ. Alors que le troupeau, toujours présent, constitue de toute évidence le centre des préoccupations quotidiennes, un sujet de conversation donnant lieu à des manifestations de tendresse, aucune référence particulière n’est faite à la terre. Celle-ci est manifestement vécue comme un simple support, avec une indifférence telle qu’elle surprend même l’interlocuteur occidental. La plupart des Peul interrogés n’ont mentionné aucun attachement géographique particulier et, à la question de leurs origines, ont répondu par un simple geste dans une quelconque direction.

Par ailleurs, les considérations commerciales paraissent familières aux Peul qui, malgré leur grand attachement au troupeau, raisonnent en termes de rentabilité lorsqu’il s’agit de la vente de bœufs ou de rendement laitier.

Les problèmes de compréhension mutuelle que rencontre la quasi-totalité des conflits entre agriculteurs et éleveurs peul s’expliquent au regard de ces conceptions. Si l’antagonisme se résume à première vue à l’évaluation de dégâts, bien souvent il apparaît que c’est en réalité la question de la nécessité de compensation même ou, à l’inverse, le sentiment de non respect d’un espace considéré comme sacré qui constituent les véritables sujets de discorde.

Le manque de concertation

Aux divergences idéelles s’ajoute un problème de communication d’ordre linguistique : très peu de transhumants parlent le sénoufo, les autochtones ignorent le foula, et les négociations doivent régulièrement se faire dans une langue tierce, généralement en dioula. Ce déficit d’échanges provoque une importante défiance et un grand nombre de préjugés des uns envers les autres.

Ainsi, souvent, les éleveurs reprochent aux agriculteurs de provoquer eux-mêmes des dégâts pour obtenir des indemnisations de manière illicite. Le sous-préfet de Guiembé, après moins d’un an de service, cite toute une série de telles affirmations auxquelles il a été confronté : selon les éleveurs, les paysans préféreraient cultiver des champs en bordure de route et sur les chemins de passage des bouviers, ils retarderaient la rentrée d’une partie des récoltes afin de pouvoir provoquer une destruction partielle et d’obtenir une indemnisation complète, ils iraient même jusqu’à ouvrir les parcs de nuit pour favoriser les dégâts.

Selon les agriculteurs, les bouviers, pour des raisons de fierté, préféreraient souvent dépenser d’importantes sommes au tribunal que de payer directement une indemnité bien moindre. Par ailleurs, ils procéderaient à des vols de bétail systématiques dans le cheptel des autochtones pour rendre la fonction de bouvier indispensable. Les méfaits des Peul seraient même la principale raison du départ des jeunes du village. Les Peul se caractériseraient par leur malhonnêteté, notamment en cas de dégâts. Lorsque leur culpabilité est avérée, ils opteraient plutôt pour la fuite que pour la compensation.

Il a déjà été relevé que l'image des Peul est, de manière générale, connotée de manière négative parmi les paysans sénoufo. Les maux dont ils sont accusés dépassent bien souvent le cadre de leur activité pastorale. Certains problèmes de société, tel le phénomène des coupeurs de routes, leur sont assez régulièrement attribués. De leur côté, les Peul se montrent peu intéressés par un contact plus étroit avec les populations autochtones qui passerait notamment par l'apprentissage de la langue sénoufo. Ce qui s'est présenté à l'origine comme un problème de gestion de l'espace évolue ainsi vers un problème interethnique.

A-2 - Tentatives de résolution du problème

Les tentatives de résolution du problème sont nombreuses. Alors que les responsables politiques ont privilégié la mise en place de structures de règlement des conflits, d’autres réponses se sont manifestées à travers des dynamiques locales.

A-2-a - Initiatives politiques

Les initiatives politiques reposent essentiellement sur les travaux d’un atelier initié par le MINAGRA et qui s’est réuni du 7 au 9 juillet 1994 à Yamoussoukro.

Dispositions législatives

Les mesures qui y ont été envisagées reposaient essentiellement sur l’élaboration de dispositions réglementaires visant en particulier :

  • " la restructuration des commissions sous-préfectorales et préfectorales de règlement des conflits,
  • l’actualisation des barèmes d’indemnisation,
  • l’interdiction du transit à pied des animaux de commerce,
  • l’instauration d’un calendrier agro-pastoral réglementant le déplacement des troupeaux dans les périodes de cultures et de protection des récoltes,
  • l’application stricte des dispositions en lien avec le passeport du bétail,
  • la connaissance des propriétaires d’animaux (recensement, marquage progressif des animaux). "
  • L’atelier de Yamoussoukro a donné lieu, en 1996, à l’adoption d’une série de décrets.

Restructuration du système de règlement des conflits

Le décret 96-433 du 3 juin 1996 prévoit la mise en place d’un système spécifique de règlement des conflits avec l’instauration de commissions paritaires au niveau villageois, sous-préfectoral et départemental.

Alors que les Commissions Villageoises sont prévues pour permettre un règlement du conflit à l’amiable, les Commissions Sous-Préfectorales et la Commission Préfectorale de Recours sont conçues pour fonctionner de manière plus mécanique. Les constats de dégâts se fondent sur un procès-verbal dressé par un agent assermenté du MINAGRA détaché au niveau de la sous-préfecture et l’éventuelle indemnisation est évaluée en fonction de barèmes établis. Pour ce qui est de l’indemnisation des dégâts de culture, une dernière révision de ces barèmes avait déjà été entreprise par arrêté ministériel du 12 mars 1996. L’indemnisation lors de blessures du bétail doit se faire en fonction du décret n° 96-434 du 3 juin 1996.

Il convient de souligner que la soumission du litige aux différentes commissions n’a pas été conçue comme procédure préalable nécessaire à la saisine des tribunaux, mais doit plutôt être comprise comme un moyen alternatif de résolution du conflit.

Fixation d'un calendrier agro-pastoral

Un calendrier agro-pastoral pour le département de Korhogo a été fixé par un arrêté préfectoral en date du 8 janvier 1998. Pour les départements du Nord, il prévoit une période de transhumance du 1er janvier au 14 mai. Dans la partie septentrionale, la période court du 1er février au 30 avril. Le calendrier doit avant tout permettre d'établir une présomption de culpabilité. Pendant la transhumance, la responsabilité des éleveurs pour des dégâts de culture est exclue sauf en cas de mauvaise foi établi.

Recensement des bouviers

Le décret 96-432 du 3 juin 1996 fait obligation aux bouviers de se faire recenser dans leur sous-préfecture de rattachement.

Appui aux associations locales

Les tentatives politiques d'apaisement du conflit ne se sont pas limitées à la seule élaboration des décrets de 1996. L’atelier de Yamoussoukro avait également prévu la création et la promotion d’associations locales.

Généralisation des Associations Pastorales

L’atelier avait surtout projeté la généralisation d’associations d’éleveurs agréées dans toutes les sous-préfectures. Ces " Associations Pastorales " devaient assurer :

  • " la garantie mutuelle des éleveurs (en cas de dégâts ou de vol),
  • la constitution et gestion des fonds départementaux agro-pastoraux (redevances),
  • la gestion des ressources pastorales. "

Suite à ce projet, les modalités de mise en place et d’organisation interne ont été énoncées par le décret n° 96-432 du 3 juin 1996. C’est au MINAGRA qu’incombe la validation des associations pouvant prétendre au statut d’" Association Pastorale Représentative ". Les Associations Représentatives sont admises à percevoir des cotisations et redevances de leurs membres afin de constituer le fonds départemental. Elles représentent les éleveurs devant les commissions sous-préfectorales et départementales.

Création du PNAGER-Nord

En dehors des instruments législatifs, l’atelier de Yamoussoukro avait également prévu la mise en place d’un programme de développement devant permettre d’apporter des réponses au conflit sur le terrain. Cet objectif a abouti, le 1er janvier 1997, à la création par le MINAGRA du PNAGER-Nord (Programme National de Gestion de l’Espace Rural en région Nord) dans le département de Korhogo. Le financement a pu être assuré avec le soutien de l’Agence Française de Développement (AFD) et l’Association Française des Volontaires du Progrès (AFVP). Après une durée initiale de 5 ans, les structures devaient être maintenues grâce aux financements de la Coopération française.

Les objectifs retenus par le programme sont " l’appui au développement local, le financement du développement local et le développement des compétences ". Concrètement, il a permis la mise en place de structures de développement local au niveau de chaque sous-préfecture. Ces 11 " Associations de Développement Sous-Préfectorales " au statut associatif sont regroupées dans l’  " Union des Associations de Développement Sous-Préfectorales " (UNADSP) et se composent de délégués villageois, de représentants des organisations professionnelles agricoles, des Associations Pastorales, de la Chambre d’Agriculture et des municipalités. Elles peuvent être sollicitées pour le financement et le suivi de projets permettant le règlement de problèmes fonciers.

La plupart des projets soutenus concerne l’installation de clôtures et l’installation de parcs de nuit.

A-2-b - Dynamiques locales

Tout comme l'introduction de l'élevage se présente d'abord comme le choix politique d'un pouvoir central, les solutions proposées pour remédier aux problèmes qu'elle soulève proviennent en tout premier lieu d'instances extérieures. Il est en effet assez remarquable combien bien peu la situation semble avoir pu se dénouer par une quelconque intervention des acteurs concernés. Au contraire, la forte connotation ethnique qu'a pris le conflit au sein de la population rurale contribue plutôt à une intensification des velléités, certes le plus souvent encore sous-jacentes. La triste expérience vécue par d'autres régions de Côte d'Ivoire témoigne des conséquences désastreuses que peut avoir une telle paralysie.

Ceci étant, si de véritables initiatives locales n'ont pas pu être observées, il convient cependant de relever quelques dynamiques sociales qui, peut-être, contribueront tout de même à apaiser les tensions.

La popularisation de l'élevage parmi les autochtones

Une transformation importante qui a pu être observée au cours des deux dernières décennies est la popularisation de l'élevage parmi les autochtones. De très nombreux villages disposent aujourd'hui de leur propre cheptel gardé par un bouvier peul résidant parmi les villageois. L'élevage est alors devenu une pratique qui s'est intégré dans les structures locales.

Les problèmes de concertation et de compréhension mutuelle ont ainsi pu être surmontés en partie. Cependant, il semble que la pratique de l'élevage par des Sénoufo n'a pas contribué à apaiser les tensions ethniques. En effet, les agriculteurs sénoufo continuent à attribuer le problème des dégâts de culture aux seuls Peul, et cela alors que des statistiques de 1982 révélaient déjà que 10% des destructions d'origine déterminée avaient été causées par des troupeaux appartenant à des autochtones. Dans les faits, les différends causés par les bêtes d’autochtones sont presque toujours réglés à l’amiable. Par ailleurs, les éleveurs sénoufo occupent désormais les principaux postes de responsabilité dans les Associations Pastorales ce qui a créé une certaine suspicion parmi les Peul. Ceux-ci, ne se sentant pas représentés, n'y perçoivent pas une institution susceptible de défendre leurs intérêts en cas de conflit.

L'intermédiation des Dozo

Une autre dynamique qui n'a malheureusement pas pu être vérifiée a été signalée par le responsable du PNAGER-Nord. Il semble que, depuis quelque temps, les populations dozo s'affirment comme médiateurs en cas de conflit entre Peul et Sénoufo. Cette fonction qui correspondrait à la tradition qui faisait d'eux des justiciers aurait déjà permis la résolution de plusieurs différends.

B - Evaluation de la situation actuelle

B-1 - Situation au niveau départemental

B-1-a - Tendances générales

Evolution des dégâts de culture

Le nombre et l’importance des dégâts de culture constatés par les agents du MINAGRA ne permettent pas de dégager une tendance générale. Ni les changements des structures rurales ni la mise en place des nouvelles instances de gestion des conflits ne semblent donc se répercuter sur les chiffres. Ce constat peut être fait à Korhogo comme dans les autres départements de la Région des Savannes (Ferké, Boundiali et Tengréla, départements où les dégâts ont cependant toujours été moindres).

Raréfaction des surfaces de pâturage

La raréfaction actuelle des surfaces propices à l’élevage s’explique d’une part par une augmentation générale du cheptel qui intervient, de surcroît, dans une période d’importante croissance démographique, d’extension des terres agricoles et de diminution de la qualité des pâturages. D’autre part, le développement rapide des cultures d’anacardier dans tout le Nord de la Côte d’Ivoire a considérablement réduit les jachères. Or ce sont précisément ces espaces que recherchent les éleveurs et qui, jusqu’à maintenant, permettaient une limitation des dégâts de culture.

Cette situation ne permet pourtant pas de pronostiquer un accroissement des conflits. La principale conséquence en est plutôt une reprise de la transhumance. Aujourd’hui déjà, de nombreux Peul ne gardent avec eux qu’un noyau de laitières, maintenant le gros du troupeau au loin. Si l’évolution se confirme, la région risque ainsi un reflux de l’élevage qui irait, évidemment, à l’encontre des objectifs politiques.

B-1-b - Bilan des initiatives politiques

Application des dispositions législatives

Pour ce qui est du fonctionnement des mécanismes de gestion des conflits conçus en 1996, force est de constater qu’il ne correspond qu’en partie à ce qu’avait prévu le législateur. En 1999, seules 113 Commissions Villageoises (sur 662 villages) avaient été mises en place. Il semble que leur instauration est parfois volontairement retardée par certains sous-préfets. Très généralement, la Commission Sous-Préfectorale ne fonctionne pas selon la composition prévue, le sous-préfet étant souvent la seule personne à être présente. Aux yeux des parties, les audiences revêtent souvent un caractère trop magistral. Les traductions du français sont sommaires et le PV dressé par l’agent du MINAGRA n’est que rarement remis aux parties. Beaucoup d’éleveurs déplorent aussi un manque de concertation lors du constat des dégâts, et la procédure est perçue comme peu transparente. L’utilité des prises de mesures sur les lieux de dégât et des calculs qui s’ensuivent n'est souvent pas comprise. Le préfet est souvent pris pour la seule personne responsable de la prise de décision.

Pour ce qui est de la Commission Préfectorale de Recours et d’Arbitrage, à ce jour, elle n’est pas opérationnelle. Les tribunaux demeurent la principale voie de recours, mais les décisions de la justice interviennent généralement dans des délais très longs. Toutes les instances de règlement souffrent de difficultés sévères quant à la mise à exécution de leurs décisions. Près de la moitié des indemnités fixées reste impayée (voir tableau ci-dessus page *).

Certains interlocuteurs responsables d’organismes ou d’associations déplorent un manque d’impartialité des sous-préfets, ceux-ci se voyant souvent confrontés à d’importants dons d’animaux lors de leur entrée en service.

Par ailleurs, la carte d’éleveur prévue par le décret 96-432 n’a pas été mise en œuvre et l’obligation de recensement est visiblement ignorée par les transhumants auxquels elle incombe. Ce sont souvent les Associations Pastorales qui, de leur propre initiative, ont procédé à un recensement des éleveurs.

Fonctionnement des associations locales

Dans leur fonctionnement, les Associations Pastorales sont confrontées à des problèmes importants. Elles ne parviennent à percevoir leurs redevances que de quelques adhérents et sur une base volontaire. Faute de ressources, la création d’un " Fonds Pastoral Départemental " n’a ainsi jamais vu le jour. A cela s’ajoute qu’aucune des associations ne s’est effectivement vue accéder au statut d’ " Association Pastorale Représentative " ce qui, en principe, s’oppose au prélèvement de redevances et à la participation aux commissions de règlement des conflits.

Le PNAGER-Nord a, de fait, cessé d’exister. Suite au coup d’Etat du 24 décembre 1999, les volontaires de l’AFVP ont été rapatriés et le projet a été suspendu. Un futur soutien de la Banque Mondiale semble possible, mais à ce jour, aucun financement alternatif n’a pu être trouvé. Le responsable du projet continue à assurer un suivi sans pourtant percevoir de salaire.

B-2 - Situation dans les sous-préfectures

Les enquêtes menées dans le département permettent de donner un aperçu plus détaillé des conflits et de leur gestion dans les différentes sous-préfectures. Là où cela a été possible, un intérêt particulier a été porté sur la mise en place et le fonctionnement des nouvelles instances de règlement des conflits.

B-2-a - Korhogo

Conflits

Des conflits opposant agriculteurs et éleveurs sont surtout rapportés du sud du département.

Fonctionnement des instances de règlement des conflits

La Sous-Préfecture compte 175 villages parmi lesquels 40 disposent d’une Commissions Villageoise effectivement mise en place.

A la Sous-Préfecture même de Korhogo, les textes des décrets de 1996 et les barèmes applicables ne sont pas disponibles. En cas de nécessité, le Sous-Préfet contacte le MINAGRA pour lui demander conseil.

B-2-b - Dikodougou

Conflits

Les conflits sont très nombreux car la sous-préfecture couvre le du sud du département. Lorsque les herbes deviennent rares, la plupart des éleveurs se déplacent vers cette zone. L’expulsion de campements peul, ainsi que des coups et blessures y ont de tout temps été fréquents.

D’après des informations du PNAGER, les cas d’empoisonnement du bétail sont nombreux, surtout dans le sud (villages de Kolokaha, Banan, Ouattaradougou et Zanakaha lors de la transhumance de 1999-2000).

Fonctionnement des instances de règlement des conflits

L’Association Pastorale a été créée en 1997 et comptait 80 adhérents en mai 2002 (62 en mai 1999). Les redevances ne sont plus collectées.

B-2-c - Guiembé

Conflits

La sous-préfecture se situe dans le sud et en zone non dense ce qui indique généralement une situation de conflit accrue.

Gestion des conflits

Les litiges portés devant la Commission Sous-Préfectorale sont en baisse continuelle. Ils étaient au nombre de 48 en 2000 et de 35 en 2001. Dans la grande majorité des cas, les paiements d’indemnités ont été entièrement effectués. De janvier à début août 2002, 10 affaires ont été soumises. Seules les deux dernières étaient encore en attente de paiement, mais le délai de un mois imparti n’était pas encore écoulé. Le Sous-Préfet actuel, en service depuis septembre 2001, n’a connu qu’un unique cas de non-paiement d’un transhumant ayant fui.

Il semble que l’existence ou non de Commissions Villageoises est ignorée par les responsables de la Sous-Préfecture. Les textes des décrets de 1996 et les barèmes applicables n’y sont pas disponibles.

B-2-d - Karakoro

(aucune information recueillie)

B-2-e - Komborodougou

(aucune information recueillie)

B-2-f - Mbengué

Selon le recensement de l’Association Pastorale, la sous-préfecture compte environ 300 éleveurs.

Conflits

La sous-préfecture de Mbengué borde la frontière malienne dont le tracé est en partie contesté. Les conflits sont relativement nombreux. Des homicides non datés ont été rapportés.

Gestion des conflits

L’AP a été créée le 20 janvier 1998. Moins de la moitié des éleveurs en sont membres (127 en mai 2002 contre 101 en mai 1999).

B-2-g - Napiéolédougou (Napié)

Conflits

(aucune information recueillie)

Gestion des conflits

Selon l’Association Pastorale, la Commission Sous-Préfectorale n’implique pas assez les éleveurs. Les constats de dégâts se feraient souvent par le seul agent de l’Agriculture et un représentant du Sous-Préfet. Aucune blessure d’animal n’aurait été indemnisée.

L’Association Pastorale a été créée le 30 décembre 1997 et comptait 170 adhérents en mai 2002 (147 en mai 1999). Elle ne collecte plus de redevances.

Le PNAGER a cofinancé cinq clôtures de parcs que l’AP juge très utiles.

B-2-h - Niofoin

L’Association Pastorale a identifié 225 éleveurs.

Conflits

D’après les informations du PNAGER, des cas d’empoisonnement de bétail ont été relevés près des villages de Séguétiélé et de Komborokoura en 1999-2000.

Gestion des conflits

L’Association Pastorale a été créée le 25 mars 1998 et ne comptait que 99 membres en mai 2002 (92 membres en mai 1999). Il semble qu’en dehors des 225 éleveurs recensés, il existe un grand nombre de transhumants ne réunissant pas 60 bovins (nécessaires pour être considéré comme éleveur). Par ailleurs, une seule et unique cotisation a été encaissée depuis la création de l’AP ; aucune redevance ne semble avoir été perçue.

En 2001, l’AP a pu régler un conflit à l’amiable à Komborodougou. Elle déplore cependant ne pas être assez impliquée dans les Commissions Villageoises. Les constats se feraient essentiellement par l’agent de l’Agriculture sans véritable concertation.

B-2-i - Sinématiali

Selon l’Association Pastorale, la sous-préfecture compte environ 200 éleveurs.

Conflits

Les conflits sont assez peu nombreux.

Gestion des conflits

L’Association Pastorale comptait 94 adhérents en mai 2002 (83 en mai 1999). Une redevance de 100 F par tête est perçue avec succès grâce à un recensement opéré dans les parcs.

B-2-j - Sirasso

L’Association Pastorale a identifié 120 éleveurs.

Conflits

Les conflits sont nombreux. D’après des informations fournies par le PNAGER, 2 villages (Sambokaha et Djougoublé) ont catégoriquement refusé la présence d’éleveurs lors de la transhumance de 1999-2000. A proximité, près des villages de Mbala et de Kombolokoura, des problèmes d’empoisonnement de bétail ont été relevés.

Gestion des conflits

Il existe 32 Commissions Villageoises.

Selon l’Association Pastorale, les constats de dégâts par la Commission Sous-Préfectorale se font régulièrement en l’absence de l’éleveur. Il semble que même l’identité de celui-ci ne soit pas toujours vérifiée.

L’Association Pastorale a été créée le 12 février 1998. 87 éleveurs étaient membres en mai 2002 (83 en mai 1999). Peu de redevances ont été perçues.

Selon le responsable du PNAGER-Nord, le sous-préfet a accusé le programme d’avoir été instauré par des Peul et de ne défendre que les intérêts de cette population.

B-2-k - Tioroniaradougou

La sous-préfecture de Tioroniaradougou se situe en zone dense et les éleveurs y sont peu nombreux. L’Association Pastorale en a identifié 125.

Le PNAGER a pu financer des clôtures de vergers et deux parcs de nuit.

Conflits

Les conflits sont assez peu nombreux et le calendrier agro-pastoral est respecté.

Gestion des conflits

Depuis l’an 2000, aucun cas n’a été porté au niveau de la Sous-Préfecture.

La quasi-totalité des éleveurs a adhéré à l’Association Pastorale créée en avril 1997 (118 membres en mai 2002 et 113 en mai 1999). En dehors des cotisations d’adhésion, aucune redevance n’a été perçue.

L’ambassade du Royaume des Pays-Bas a octroyé au PNAGER un don non remboursable de 3,5 millions de Francs CFA aux fins de la construction d’un magasin de stockage de produits alimentaires pour le bétail.

Résumé

En région sénoufo, la propriété foncière au sens du droit civil n’existe pas. Les terres sont administrées par un chef ; leur attribution à des étrangers se fait de manière gracieuse et sous forme de prêt. La concession est toujours limitée dans le temps.

Ce régime qui a, de tout temps, donné lieu à des conflits lors de la restitution, soulève aujourd’hui de nouveaux problèmes. D’une part, le village comme unité de gestion tend à être substitué par la famille nucléaire ce qui, au regard des étrangers, crée une source d’insécurité. Par ailleurs, la crainte d’une perpétuation de droits à la terre par le moyen du droit civil a amené les autochtones à interdire aux étrangers les plantations pérennes ce qui, dans le contexte économique actuel, constitue une importante restriction du droit de choisir les formes de culture les plus viables.

Depuis l’introduction de l’élevage à partir des années 1970, les destructions de cultures causées par des bêtes sous la garde de bouviers d’origine peul forment la principale source de différends opposant autochtones et allogènes. Ce conflit ne se résume pourtant pas au simple constat de dégâts. Dans la société sénoufo, profondément marquée par sa tradition agraire et un lien mystique à la terre, les divergences cosmogoniques constituent un facteur d’amplification important. De nombreuses tentatives de résolution du conflit, avant tout de nature politique, n’ont, à ce jour, apporté aucun changement décisif de la situation.

L’objectif premier de ce rapport est de contribuer à une étude sur la situation des droits fonciers en Côte d’Ivoire après la mise en œuvre de la loi de 1998 sur le domaine foncier rural. Si le texte ci-présent doit avant tout permettre d’exposer de manière descriptive les données recueillies sur le terrain, cette future analyse critique permettra d’axer les observations autour d’une problématique commune.

Bibliographie

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Préfecture de Korhogo, Monographie du Département de Korhogo, 1998, 15 p. dactylographiées (non numérotées).
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UNADSP, Un nouveau visage du développement local, Korhogo : PNAGER-Nord, 2002, 14 p.

 


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