Etienne LE ROY

 

L’apport des chercheurs du LAJP à la gestion patrimoniale

Texte paru dans : Bulletin de liaison du LAJP, n°23, juillet 1998, pp. 29-57.

 

Un proverbe médiéval disait déjà : " qui terre a, guerre a ", c’est tout dire ! Ce proverbe se révèle très contemporain car une large part des conflits internes ou internationaux en Afrique ont directement (cas du conflit entre le Sénégal et la Mauritanie en 1989, du Nigeria et du Cameroun depuis 1996) ou indirectement (au Liberia, au Sierra Leone, dans la Casamance sénégalaise, au Rwanda, en Ouganda, en Erythrée... ) des dimensions territoriales et foncières importantes. Le chercheur est donc convoqué pour éteindre ou prévenir (plus rarement) des incendies qui peuvent conduire à l’implosion d’une nation (cas du Rwanda). C’est, par exemple, ce dont ont eu la prescience les autorités sud-africaines pour " surfer", comme on dit, sur la vague démocratique et conduire l’évolution post-apartheid dans une voie néolibérale.

 

Les choix initiaux

En fait, c’est d’abord la recherche sur la question foncière qui a fait émerger ce paradigme de l’entre deux, entre tradition et modernité, entre universalisme et particularismes, entre ici et ailleurs, maintenant et plus tard. Le diagnostic global, brut de décoffrage, qu’on peut faire en effet tient dans un divorce profond entre les normes officielles et les pratiques des acteurs, divorce d’abord fondé sur les conceptions développementalistes et maintenant sous-tendu par la globalisation/mondialisation de l’économie. Justifié par une perspective prométhéenne, soutenu par l’idée de progrès et par la conviction que la coopération disposait au Nord du modèle qu’il suffisait de transposer dans les pays du Sud, ce divorce est présenté éthiquement en des termes qui ne sont pas sans évoquer les justifications religieuses apportées au droit de conquête des nations indiennes par les sociétés chrétiennes.

Inverser frontalement de tels macro-processus culturels inscrits dans le tréfonds des mentalités est resté jusque maintenant impossible parce qu’impensable pour une grande majorité des acteurs du Nord et ceux du Sud en position de décision sur le plan politique ou financier. L’indéniable supériorité des cultures matérielles de l’Occident réduit à néant toute possibilité de faire accepter l’expérience d’alternatives hors de l’étatisme, de l’individualisme et du capitalisme.

De ce fait, et après avoir pendant une quinzaine d’années (de 1965 à 1979) exploré les voies d’une autochtonie foncière (qui sans doute faisait la part belle à la tradition foncière africaine) puis, dans un deuxième temps (de 1980 à 1990) avoir privilégié les résistances des sociétés africaines à la modernité, j’en suis arrivé à explorer le paradigme actuel fondé sur l’entre deux : dans l’un et dans l’autre.

Comme souvent en pareil cas, le chercheur bute sur des difficultés qui sont d’autant plus insaisissables qu’elles ne sont pas clairement énoncées. La littérature foncière avait dès le début de la période coloniale présenté les conceptions coloniales et celles des Africains comme opposées terme à terme. Ceci avait conduit lors de la préparation des journées d’études sur les problèmes fonciers en Afrique de septembre 1980 à thématiser la notion de " référent précolonial " que proposaient J.-P. Chauveau et J.-P. Dozon sur la base de leurs travaux en Côte d’Ivoire. Puis, en préparant la publication de ces travaux sous le titre Enjeux fonciers en Afrique noire, nous nous sommes rendus compte que ce référent précolonial n’était en fait qu’une application du principe de l’englobement du contraire caractéristique de l’idéologie moderne selon L. Dumont !

Le biais idéologique justifiait ainsi, au nom de la modernité, une présentation antagonique des logiques d’acteurs en opérant par ailleurs une énorme falsification des données. La littérature, sur des bases incertaines, supposait que toutes les sociétés connaissent une propriété foncière, publique ou privée, collective ou individuelle, et autorisent cessions et aliénations alors que des travaux plus récents confortent théoriquement nos observations de terrain en associant l’invention de la propriété de la terre puis sa généralisation à l’émergence du capitalisme.

Réduire ce biais idéologique n’est cependant pas rétablir une vérité dont les Africains n’ont que faire si les réponses qu’on leur propose ne tiennent pas compte de l’inscription indissociable de leurs pratiques dans la tradition et dans la modernité ou, selon une autre terminologie, dans l’économie affective (au sens de Goran Hyden) et dans l’économie capitaliste.

Pour être opératoires, les réponses doivent contenir des solutions intégrant l’un et l’autre des deux dispositifs. Il fallait trouver des solutions métisses et deux options s’offraient à nous.

Le choix était crucial.

La première option auquel un anthropologue s’attache parfois indûment est la préservation de l’autochtonie passant par la voie d’une adaptation des logiques endogènes aux enjeux de la modernité qui lui sont soumis, au risque que, par un effet inverse et inattendu, la modernité absorbe et assimile totalement les options proposées. Outre ce risque qui peut être maîtrisé au moins partiellement, l’obstacle fondamental est qu’aucun des acteurs en position de gouvernance foncière ne veut, ou ne peut, sortir d’une matrice conceptuelle de type occidental. Même l’expérience, pourtant fort prudente, des Sénégalais avec la loi sur le domaine national est remise en question par les programmes d’ajustement structurel parce que ne correspondant pas à la délivrance de titres fonciers et à la reconnaissance de droits de propriété privée. Après m’être battu durant vingt cinq ans pour faire comprendre les vertus d’une approche endogène, j’acceptais, en fonction du pragmatisme dont j’ai fait ma règle de méthode, de considérer la seconde option.

Cette seconde option suppose donc un métissage à partir du droit foncier occidental qui sert de support à une prise en compte, à dose tolérable, de données africaines endogènes. Le fait de travailler majoritairement dans des pays d’Afrique francophone me conduisait à utiliser le support du code Napoléon de 1804 tenu pour le droit positif de certains de ces pays ou pour la référence de leurs législations en tant que " raison écrite ". Il est maintenant clair, sur la base de la thèse d’Élisabeth Gianola-Gragg que si j’avais eu à travailler dans des pays de common law les raisonnements et les démarches auraient été substantiellement différents, ainsi que les résultats. On ne sait pas encore avec précision dans quelle mesure la démarche de gestion patrimoniale qui est ici préconisée est compatible ou non avec les catégories de la common law.

Ceci posé et qui n’allait pas sans débats, la recherche a pu avancer en prenant au sérieux deux idées expérimentées à l’occasion de mes enseignements. La première idée est que les catégories du code civil permettant d’identifier quatre régimes de propriété que nous détaillerons par la suite relèvent d’une véritable modèle structural au sens donné par Claude Lévi-Strauss. La seconde idée est que ce modèle peut en cacher un autre ou plus exactement que le travail des rédacteurs du Code civil a consisté à simplifier considérablement les données du droit commun coutumier français. Ce qui a été simplifié peut donc inversement être réintroduit sur la base, dans le contexte africain, non de la reprise des catégories du droit commun coutumier français mais d’analogies entre catégories, l’enrichissement du modèle devant se faire de telle façon que les catégories nouvelles restent logiquement compatibles tant avec celles du droit traditionnel africain qu’avec celles du Code Civil.

 

Brève lecture commentée du Code civil

Dans son livre II, " Des biens et des différentes modifications de la propriété ", articles 516 et s., le Code civil pose un principe et introduit quelques exceptions.

Le principe est celui de la généralisation de la propriété privée selon le modèle d’un droit exclusif et absolu que consacre l’article 544 CC (" la propriété est le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue à condition de respecter les lois et règlements en vigueur ") après l’article 17 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui la déclarait inviolable et sacrée. En outre, l’article 537 fait des " particuliers " les bénéficiaires de ce régime de droit privé. Dans ce dispositif, deux termes sont essentiels, le " bien" différencié par la doctrine de la chose comme " une chose ayant une valeur pécuniaire et susceptible d’appropriation " et privé opposé à public dans la définition du domaine public, principale exception au régime général dans la rédaction initiale du code et qui est défini dans l’article 538 comme ce qui " porte sur des choses qui ne sont pas susceptibles de propriété privée "

Public/privé, chose/bien sont les paramètres du modèle civiliste qui permet, outre le régime de la propriété privée (art. 537 et 544) et celui du domaine public (art. 538) de distinguer le régime des communaux (art. 542 où la liberté d’aliénation est réduite) puis par voie doctrinale et jurisprudentielle au XIX° siècle, la terminologie du code civil étant ici peu claire, le domaine privé de l’État et de ses collectivités territoriales qui favorise la gestion des ressources mises à la disposition des services publics selon des rapports de droit privé (les choses sont ainsi requalifiées en biens)

Tableau N° 1
Modèle structural des régimes civilistes de propriété

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L’enrichissement du modèle à partir des catégories du droit traditionnel africain

Ce modèle ainsi construit demandait à être enrichi. Deux nouveaux choix ont été faits. Le premier a consisté à proposer d’introduire des catégories nouvelles entre celles identifiées par le Code civil. L’enrichissement se veut donc interne au code dont il considère les catégories comme constitutives des limites du modèle. C’est au coeur de la matrice que des apports vont être faits. Le second choix relève de la seule pragmatique. Il consiste à sélectionner les catégories intermédiaires sur une base acceptable, selon les critères que j’ai énoncé de double compatibilité à l’égard du droit traditionnel africain et du code civil.

Le résultat paraît relever du coup de baguette du magicien. Mais en fait je me suis aperçu que je disposais déjà des catégories qui, globalement, avaient été identifiées dans ma thèse de doctorat d’État de 1970 pour ressortir vingt ans après !

- La première distinction entre public et privé est enrichie sur la base des nombreux travaux du LAJP soulignant que dans des sociétés communautaires, et à la différence des sociétés individualistes du Code civil qui connaissent l’opposition public/privé, les distinctions des usages socialement reconnus privilégient des relations sociales qui sont internes, internes-externes (ou d’alliance) et enfin externes aux communautés de référence. Pour assurer la cohérence logique de l’ensemble de ces catégories, on les redéfinit selon le critère de " ce qui est commun à " ou " ce qui est partagé par " :

- est public ce qui est commun à tous, indifféremment,
- est externe ce qui est commun à n groupes, n désignant un nombre déterminé mais variable,
- est interne-externe ce qui est commun à deux groupes,
- est interne ce qui est commun à un groupe,
- est privé ce qui est commun ou propre à une personne juridique physique ou morale.

Dans chaque cas, c’est la société qui définit ce qui est ou n’est pas groupe ou personne et le sens donné à chacune de ces deux fictions.

- Le second axe de la chose et du bien posait plus de problèmes tant ces domaines de recherche avaient été négligés par la recherche internationale. Partant des distinctions de l’analyse matricielle de ma thèse de doctorat, je distinguais chez les Wolof trois positions des ressources, les avoirs (am), la possession (mom) et la propriété fonctionnelle, exclusive mais non absolue (lew). Une étude comparative du droit successoral pour la société Jean Bodin pour l’histoire des institutions m’ayant donné l’occasion de généraliser ces distinctions, il restait à assurer la compatibilité de ces distinctions avec celles du code civil. La solution est venue de la lecture pour le conseil de rédaction de la revue Natures, Sciences, Sociétés d’un article proposé par A. Sandberg reprenant les analyses d’Elinor Ostrom et d’Estella Schlagger .

Celles-ci proposaient deux lignes d’analyse pertinentes pour mon propos.

Tout d’abord, tout en distinguant deux niveaux d’organisation et de reconnaissance des droits fonciers, un niveau opérationnel (N.O.) (" là où les choses arrivent ") et un niveau collectif d’appropriation (N.C.) (" là où les choses sont décidées") ces auteurs introduisent une nouvelle typologie de droits fondée sur une progressivité, du plus simple au plus complexe :

- le droit d’entrer ou d’accès,(N.O.)
- le droit de soustraire ou d’extraire, (N.O.)
- le droit de gérer et de réguler l’usage des ressources, (N.C.)
- le droit d’exclure et de décider qui a le droit d’accès et comment le transmettre, (N.C.)
- le droit d’aliéner au sens de se défaire d’un droit de manière discrétionnaire et absolue (N.C.).

Le second apport de ces auteurs est de montrer que ces droits se combinent par additions successives pour définir différentes catégories juridiques. Dans le modèle de Schlager et Ostrom et conformément à une lecture de common law qui privilégie les rapports hommes/hommes, ce sont des catégories de personnes qui sont ainsi identifiées (unauthorized user, authorized user, claimant, proprietor, owner). Faisant l’économie de sa présentation qu’on trouvera par ailleurs, je vais en faire une adaptation selon les distinctions des statuts de ressources (rapports hommes/choses) dimension privilégiée dans une lecture de type civiliste comme le montre justement la thèse d’E. Gianola-Gragg.

Tableau N° 2
Corrélations entre nature des droits et régimes d’appropriation

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La progression entre les droits permet ainsi de justifier le rapport entre les différents régimes et la place ultime reconnue à la propriété privée, le régime le plus complet mais aussi le régime d’appropriation le plus exceptionnel que seuls les Occidentaux tiennent pour un mode général d’appropriation.

La combinaison des enseignements des tableaux 1 et 2 permet de construire une matrice générale des maîtrises foncières intégrant les droits et obligations sur la terre, les maîtrises étant définies comme " l’exercice d’un pouvoir et d’une puissance donnant une responsabilité particulière à celui qui, par un acte d’affectation de l’espace, a réservé, plus ou moins exclusivement ou absolument cet espace ". Ce sont ces maîtrises qui sont à la base de la gestion patrimoniale.

 

Tableau N° 3
Matrice simplifiée des maîtrises foncières
(on consultera l’original dans La sécurisation foncière en Afrique op. cit. p. 73 ainsi que la description de chacune des 25 catégories désignées par les initiales A1 à E5)

tableau3

 

La gestion patrimoniale et le jeu des lois

La gestion patrimoniale a été plus particulièrement illustrée par Henri Ollagnon à travers ses travaux pour le Ministère de l’agriculture et sur la base de la gestion de nappes aquifères en Alsace. Il définit la gestion patrimoniale comme une " approche " et non une démarche codifiée. Cette approche " suppose de considérer la qualité (et par extension la nature) comme un objet de négociation sociale qui se centre sur la nécessaire réactualisation continue des règles et objectifs de la gestion, dans le but de maintenir la vitalité du lien social et le renouvellement de la f

orce de l’engagement ". A la démarche patrimoniale, la théorie des maîtrises foncières apporte une conception dynamique et complexe des règles juridiques en évitant qu’elles soient enfermées dans le droit de propriété privée et que la thématique de la gestion soit réduite à cette peau de chagrin qu’on dénomme la tragédie des communs (tragedy of the commons) de Hardin et qui n’est qu’une suite de lieux " communs " qui ont été portés au statut de type idéal par les idéologues libéraux de la propriété privée. Réciproquement, la gestion patrimoniale apporte à la recherche foncière sa capacité à lire et à résoudre de manière dynamique des situations conflictuelles, ce qui a été illustré dans notre ouvrage sur La sécurisation foncière en Afrique. De manière plus large encore, on remarquera combien les objectifs que s’assigne cette approche correspondent à l’esprit du présent ouvrage, en vue de " maintenir la vitalité du lien social et le renouvellement de la force de l’engagement " comme le disait Henri Ollagnon.

Ainsi, par rapport aux paramètres du jeu des lois, l’approche de gestion patrimoniale privilégie les cases 7 (forums), 8 (ordonnancements sociaux), 9 (enjeux) et 10 (règles du jeu), les autres paramètres étant dépendants de l’un ou l’autre de ces facteurs privilégiés.

- Le forum de gestion patrimoniale est le cadre le plus immédiatement identifiable de cette approche. Sans forum stable, autonome, ayant une visibilité institutionnelle, une reconnaissance juridique et une efficacité pratique, la réunion d’acteurs pour entrer en négociation n’a aucune chance de se pérenniser et d’aboutir à un développement reproductible et durable selon les critères de la conférence de Rio de Janeiro de 1992. C’est le forum qui détermine la qualité et le statut des acteurs ainsi que le type de ressources qui sera susceptible d’être pris en compte et géré selon l’approche patrimoniale. Privilégiant une logique fonctionnelle, un forum doit être plus ou moins étroitement spécialisé à un type de ressources. Dans les expériences actuelles réalisées à Madagascar on prend en considération des ressources très précisément déterminées (une forêt classée, une réserve de biosphère...) et souvent considérées comme appartenant au patrimoine mondial. Par contre, aux Comores la démarche est plus globale au niveau des ressources mais plus limitée d’un point de vue territorial (un bassin versant par exemple). De manière générale, l’approche patrimoniale privilégie l’échelle locale avec des variations importantes selon la nature de la ressource.

- Les ordonnancements sociaux sont ensuite le facteur le plus déterminant de l’approche patrimoniale en privilégiant le mode négocié dans des contextes antérieurement régulés selon le mode imposé, technocratique ou bureaucratique au sommet, tatillon, interventionniste et caporaliste à la base quand il s’agissait des interventions des Eaux et Forêts avant leur réforme interne dans nombre de pays africains. Le choix de la négociation représente une véritable révolution culturelle au sein de l’administration. Il aura fallu batailler ferme à Madagascar pour l’obtenir. Au Mali, l’idée est acceptée " du bout des lèvres ". Ailleurs, le principe adopté peut être contredit dans la pratique.

Pour négocier il faut que les intervenants soient globalement à égalité. Il faut donc aider les plus faibles à réunir leurs informations, approfondir leurs analyses et pondérer leurs choix : à organiser leurs conduites sur les plans stratégique et tactique. Pour ce faire, on recommande de former des formateurs qu’on appelle médiateurs environnementaux à Madagascar, médiateurs patrimoniaux aux Comores et qui sont choisis en raison de leurs expériences, compétences et proximité psychologique avec les populations à assister. Il va falloir en effet se plier, pour tous les protagonistes de la négociation, à une démarche intellectuelle délicate fondée sur une méthode régressive et associant divers processus. Dans un premier temps, les acteurs sont invités à déterminer en commun l’objectif qu’ils assignent à leur gestion en se projetant sur vingt à trente ans (une génération, celle de leurs enfants). Ils déterminent donc un résultat à atteindre compte tenu des informations en leur possession (pression et projection démographiques, évolution du marché, environnement national et international...). Puis, par régressions successives, émergent toutes les contraintes dont il faut tenir compte et les réponses que chaque acteur devra apporter pour que l’objectif final soit atteint. On passe ainsi de l’horizon trente ans à l’horizon un an, voire un mois ou un jour en cas d’urgence, cette combinaison de méso et de micro-processus faisant prendre conscience de l’indispensable solidarité par interaction spatio-temporelle des décisions collectives.

- Enjeux et règles du jeu sont, à nouveau, étroitement associés. Les solutions adoptées doivent en effet prendre une forme juridique et leur adoption doit être assez solennelle pour que le mode de gestion soit stabilisé sur une longue période. Actuellement, la démarche adoptée à Madagascar préconise la forme contractuelle accompagnée de rituels sociaux et religieux (kabary et sacrifice de boeufs). Le choix du contrat fait cependant l’objet d’un réexamen car, comme le souligne François Ost, le caractère instantané du contrat ne permet que difficilement de faire une juste part aux intérêts non représentés dans la négociation, en particulier les générations futures. Il nous faudra sans doute faire un appel d’idées pour tenter de résoudre ce type de difficultés. Ce problème du choix de la bonne forme juridique est en effet essentiel pour concrétiser l’enjeu de la négociation qui est d’assurer une fonction substantiellement juridique au sens de Pierre Legendre : assurer la reproduction biologique, écologique et idéologique du collectif de tous les utilisateurs de la ressource concernée.

- Reste enfin un dernier problème, celui de la qualification de ce mode de gestion. Derrière l’adjectif patrimonial que veut dire patrimoine ? En quoi ce mode de gestion se distingue-t-il d’une approche domaniale ou privative-capitaliste ? C’est là où l’inventivité des jeunes chercheurs a pu se développer .

 

Variations sur le thème du patrimoine

Patrimoine et gestion patrimoniale sont pour moi, parmi les termes disponibles dans le vocabulaire juridique et développementaliste, les moins mauvais. Je ne défendrai donc pas les termes eux-mêmes si d’autres dénominations apparaissent plus euristiques. Leur inconvénient est de prêter à confusion dans trois domaines, celui de la sociologie où Max Weber en fait un idéal type des modes de gestion de la société, celui de la science politique africaine qui fait une large place avec Jean-François Médart au néopatrimonialisme des élites, juridique enfin, sur le plan juridique, nous sommes en face de trois conceptions distinctes, aux statuts variables et dont les relations n’avaient guère étaient approfondies.

Trois conceptions du patrimoine

° La conception première du patrimoine est prémoderne, surtout médiévale pour ce que nous en ferons dans les contextes africains. Elle privilégie la transmission des statuts (d’héritier, de gestionnaire, de trustee...) et la permanence de l’affectation de ressources ou de richesses au profit d’une lignée, d’une génération à l’autre et selon le principe du droit romain " paterna paternis, materna maternis ", aux parents par le père les biens agnatiques, aux parents par la mère les biens utérins. C’est là où l’on trouve l’origine de la notion de propres et de biens propres, ressources affectées à une lignée. Dans leur histoire du droit privé, et avec un préjugé peu favorable, Paul Ourliac et Jehan de Malafosse notent :

" Pour le droit coutumier, (...), l’individu ne compte guère et la volonté du testateur est toujours suspecte. Pour une société éprise d’ordre et de stabilité, la famille seule est permanente. La solidarité qui existe entre parents leur impose de défendre en commun leur vie et leur honneur mais aussi leurs biens. Dans cette vue des choses, l’individu n’a plus sur son patrimoine qu’un pouvoir transitoire; les droits de la famille existent avant les siens et sa mort, plus qu’une succession, ouvre un ‘retour’ du bien à leur origine.

Ainsi s’établit une correspondance presque mystique entre la terre et la famille : toutes deux jouissent de la même perpétuité et chaque famille est comme enracinée sur la terre dont souvent elle porte le nom "

Ce mode d’approche a donné lieu à deux types de pratiques juridiques, des coutumes communautaires assurant le maintient du patrimoine au sein de la communauté familiale sans partage ou des coutumes lignagères ou parentélaires, la vocation héréditaire étant liée à la parenté. Ce qui paraît ici essentiel, outre la permanence de l’affectation , est de noter ce caractère quasi mystique qui lie le groupe et le patrimoine dans le droit coutumier français. Dans le droit coutumier africain ou malgache, on n’aura qu’à retirer le préfixe ‘quasi’ pour comprendre l’impact de la sacralité de la terre sur les pratiques foncières et la " quasi-impossibilité " de sortir d’une conception patrimoniale (au sens du droit coutumier) pour gérer les rapports fonciers tant que la marchandisation de la terre n’est pas généralisée et donc que le capitalisme n’a pas substitué ses modes de penser aux conceptions antérieures.

° La deuxième conception, moderne et civiliste, a en fait été formulée au début du XIX° siècle par les jurisconsultes Aubry et Rau à partir d’un héritage romain. Elle associe le patrimoine à la personne juridique, non au statut au sein du groupe, donc au groupe. Seules les personnes juridiques ont un patrimoine. Donc seuls les collectifs reconnus comme détenteurs de la personnalité juridique ont un patrimoine, ce qui aboutit à sélectionner les collectifs qui sont susceptibles d’entrer dans la vie juridique, politique et économique. Le patrimoine naît avec la personne et disparaît avec elle. Le patrimoine est donc aussi intransmissible que la personnalité, la disparition de l’un, pour cause de décès pour les personnes physiques, de dissolution pour les personnes morales, entraînant le partage du patrimoine au profit de tous les ayant droit.

Trois autres traits pèsent particulièrement sur la mise en oeuvre de cette conception moderne. D’une part l’unicité du patrimoine comme conséquence de la représentation unitaire de la personne dans la pensée moderne. Si la doctrine a tenté au début du XX° siècle de corriger ce principe par la notion de " patrimoine d’affectation", ce serait au mieux une exception au principe de l’unité de patrimoine. Une deuxième contrainte concerne le caractère essentiellement monétariste, voire mercantile qui caractérise la définition doctrinale actuelle du patrimoine. Pour François Terré, le patrimoine est "l’ensemble des rapports de droit appréciables en argent, qui ont pour sujet actif ou passif une même personne juridique et qui sont envisagés comme formant une universalité juridique " . Ce critère de l’appréciation en argent de la valeur d’un patrimoine continue de heurter la sensibilité de ceux qui considèrent que des biens de famille, comme la douleur de la séparation, sont sans prix. Une troisième contrainte tient à la notion d’universalité juridique qui exprime l’idée que le patrimoine n’est lié à rien d’autre qu’à la personne juridique dont il est le double en terme d’actif et de passif. En particulier aucune obligation, aucun intérêt ou aucune contrainte de gestion ne pèsent irrévocablement sur le détenteur du patrimoine du chef de ses auteurs ( c.a.d. du fait de ceux qui l’ont fait hériter et qui ont pu exprimer des obligations particulières pour l’usage de certains biens). Le pouvoir d’appréciation du juge en matière de clauses testamentaires a pu, au XIX° siècle, pousser la liberté de " jouir et de disposer des choses " effectivement dans ses retranchements les plus absolus. Or, que ce soit pour l’exercice du droit de propriété ou pour la liberté patrimoniale, l’évolution de ce siècle est bien celui d’un encadrement progressif de cette liberté qu’apprécient positivement ou négativement la doctrine selon ses orientations idéologiques.

On notera que pour remédier aux carences du droit positif, à la différence de la common law, la doctrine propose d’introduire un équivalent du droit anglais du trust avec la notion de fiducie. Ainsi pourrait être retrouvé le fil de la transmission intergénérationnelle dont on redécouvre les exigences avec le droit de l’environnement.

° La troisième conception du patrimoine est, disons, " transmoderne ". Elle n’associe le patrimoine ni à un collectif particulier ni à une personne mais à des entités mystico-abstraites, l’Humanité, la Nation, le Genre humain, le Monde, la Nature. On retrouve ici ce lien mystique de la pensée prémoderne et un débordement de la pensée moderne réduisant le patrimoine aux seules personnes juridiquement reconnues. L’avantage est d’autoriser un contournement de ceux des acteurs du jeu officiel qui bloqueraient une gestion reproductible et durable, spécialement certains États. L’inconvénient est de réduire la capacité d’ester en justice aux seuls acteurs reconnus par les droits étatiques tant que des juridictions internationales ne sont pas compétentes dans ce domaine. Dans quelle mesure y a-t-il un sens à prétendre, pour une association de défense de l’environnement, représenter les droits et obligations de l’humanité ? Il n’y a pas, me semble-t-il, d’autre réponse que sur le plan politique. Je pense donc que dans ce domaine et pour satisfaire aux exigences de l’État de droit, la recherche juridique devra mieux apprécier les niveaux de compétence requis et les critères d’opposabilité soit des obligations contractuelles quand elles existent soit du droit statutaire et des conventions internationales. Dans La sécurisation foncière en Afrique, je commente ainsi (1996, 55/56) les travaux de Franziska Tschofen distinguant deux registres : les ressources qui sont associées aux espaces internationaux et qui relèvent d’un " Common Héritage of Mankind (CHM) " et les ressources qui relèvent de la juridiction des États mais qui, impliquant des valeurs globales (global values), doivent être gérées selon les principes du trust ou de la fiducie, tout en sauvegardant la souveraineté étatique : " the sovereign rights of states are thereby not violated but ‘reinterpreted’ in recognition of the necessity of common efforts to cope with common problems/issues ".

Un des effets les plus visibles de ce type de recherches est de remettre au premier plan les notions de commun, communaux, communautaire et communauté que la pensée moderne avait dévalorisées et sur lesquelles je reviendrai dans le dernier point.

Mais, plus généralement, les analyses de la notion de patrimoine dans sa triple fonctionnalité prémoderne, moderne et postmoderne apportent effectivement le cadre conceptuel dont nous avions besoin pour penser la gestion foncière dans l’entre deux de la tradition et de la modernité, donc dans la contemporanéité. C’est parce que, en Afrique et à Madagascar mais aussi en France, certains acteurs se situent dans des logiques traditionnelles et communautaires et d’autres dans des logiques capitalistes qu’il convient de confronter leurs points de vue et leurs besoins considérés chacun comme initialement légitimes mais à négocier nécessairement. Si l’on revient au tableau N° 3 et aux solutions que propose la théorie des maîtrises foncières, on remarque que la grande diversité des options proposées peut aboutir à des montages de dispositifs de sécurisation foncière fort différents mais aussi fort proches des besoins des acteurs . Dans la sécurisation foncière en Afrique, on a conduit le test sur deux types de domaines, les pratiques forestières et les pratiques pastorales. La mise en parallèle des maîtrises foncières utilisées donnent les résultats suivants

PASTORALISME : A1, B1, A2, B2, B3, A3, B3, C3, D4, E3, E4.

FORESTERIE : A1, B2, A3, C3, D3, A4, D4, E4

13 sur 25 maîtrises sont exploitées et 6 seulement 2 fois. Aucune ne fait appel à la propriété privée ou à des maîtrises absolues. 5 solutions sur 17 font appel à un droit de propriété fonctionnel avec maîtrise exclusive qui pourrait devenir absolue si la marchandisation de la terre ou des ressources était acceptable.

Par ailleurs, il n’y a sécurisation des pratiques que si les acteurs peuvent être assurés pouvoir disposer de plusieurs maîtrises dans des situations qui sont soit successives soit alternatives. Par exemple, un pasteur doit successivement aller des terres de cures salées aux pâturages, aux puits et aux marchés. Il doit aussi pouvoir se rendre sur un pâturage neuf si celui qu’il exploite est sec ou épuisé. Un seul droit même absolu conduit à la destruction du troupeau si la sécheresse est absolue et qu’il n’existe pas d’autre alternative pour conduite le troupeau, hors la possibilité, très limitée en Afrique, d’achat de fourrage.

Les notions de patrimonial et de patrimoine sont donc bien des catégories diatopiques et dialogales opportunes pour fonder une sécurisation foncière pertinente.

Qu’en disent les jeunes chercheurs ?

Explorer les voies d’une gestion environnementale du patrimoine

° Roland Razafindraibe, sociologue malgache traitant de la sécurité foncière des couverts forestiers complantés par les paysans des hautes terres malgaches confirme dans sa thèse de sociologie du développement la pertinence des conclusions précédentes dans le cas de Madagascar. La possibilité d’un recoupement des intérêts et des logiques des différents acteurs lui paraît autoriser un dialogue neuf entre les paysans propriétaires (au sens de maîtrises exclusives) des forêts complantées (principalement en eucalyptus robusta), les services des domaines et des Eaux et Forêts au plan national et, à l’échelle internationale, les bailleurs de fonds conduits par la Banque mondiale laquelle a lié l’avenir de la réforme foncière au plan environnemental. En outre, souligne-t-il, l’expérience des médiateurs environnementaux est suffisamment significative pour que la dynamique de gestion patrimoniale puisse aboutir à une gestion réellement reproductible et durable.

° Élisabeth Gianola-Gragg, avocate américaine, a le mérite, entre autres, de disposer d’une formation pluridisciplinaire qui lui a permis de comparer avec la même profondeur les apports de la common law et de la théorie civiliste dans le domaine des droits de propriété puis de disposer d’une formation ethno-anthropologique qui lui a permis de confronter les discours et les pratiques juridiques sur le terrain. Elle a ainsi abouti à la conclusion que si la conception de la common law fondée sur le bundle of rights , faisceau de droits toujours susceptibles d’être affinés, spécifiés et contractuellement gérés, peut assurer le développement économique, l’apport de la gestion patrimoniale se situe sur un autre plan. Grâce à la théorie des maîtrises foncières qui prend en compte les diverses situations et autorise des adaptations de régimes juridiques sans entrer nécessairement et irrémédiablement dans le régime de la propriété privée, la gestion patrimoniale répondrait à l’exigence d’un " développement humain " entendu comme un développement à visage humain prenant en considération les contraintes immatérielles et non seulement matérielles et marchandes dans la reproduction de la vie en société.

La reconnaissance de la relation ainsi établie entre théorie des maîtrises foncières, gestion patrimoniale et développement à visage humain me paraît particulièrement valorisante et semble être, pour le concepteur, la récompense à des travaux parfois bien délicats à conduire. Il n’en reste pas moins qu’on peut se demander si l’opposition entre développement économique et développement à visage humain apparaît encore comme pertinente, la Banque mondiale ayant fait ces dernières années un virage remarqué, en particulier à propos de l’Afrique, pour tenter de coordonner ses exigences macro-économiques et les attentes de justice sociale dans la gestion de la transition micro-économique.

Par ailleurs, je doute que l’approche fondée sur la gestion patrimoniale et la théorie des maîtrises foncières privilégie un développement humain au détriment d’un développement économique. A le différence d’approches collectivistes classiques du type des réformes socialistes abolissant la propriété privée des moyens de production, la théorie des maîtrises foncières fait une place incontestée à la propriété privée/absolue ou exclusive et interne, soit dans les catégories de notre tableau N° 3 les données E5, E4, D5, D4, C5, soit 20 % des solutions offertes. En fait, tout dépend de ce qu’on entend par développement économique. Pour un jeune chercheur américain, il n’y a pas d’autre définition du développement économique que capitaliste. Comme le remarquait l’auteur lors de la préparation de la soutenance, aux États-Unis hors du capitalisme point de salut. Il faudra donc interpréter les potentialités de la gestion patrimoniale avec une vision renouvelée du développement économique et du capitalisme, ce qui, reconnaissons le, n’est pas actuellement vraiment à l’ordre du jour. Les options de politique foncière restent donc confrontées à l’alternative entre la diffusion de la propriété assurant le développement économique et non la justice sociale et le recours à la gestion patrimoniale qui autorise à mieux négocier les ‘transitions’ sans assurer immédiatement un décolage de l’économie, si tant est qu’on puisse continuer à utiliser cette terminologie des années cinquante.

° Olivier Barrière pour le droit de l’environnement, Catherine Barrière pour l’observation anthropologique et la place de la sacralité ont conduit au Mali, grâce à l’assistance de nombreuses institutions, une des premières grandes enquêtes de longue durée sur les pratiques foncières et leurs implications environnementales dans le delta intérieur du fleuve Niger. Parmi leurs nombreuses et abondantes publications, je retiens le chapitre publié dans La sécurisation foncière en Afrique. Ce texte n’est ni le plus récent ni le plus complet mais c’est celui qui est le plus directement en relation avec la gestion patrimoniale et les maîtrises foncières.

Parmi les apports de cette recherche je relève :

- le traitement spécifique de chacun des régimes juridiques propres aux types de ressources obligeant à distinguer entre régimes pastoral, agricole, sylvicole, forestier, halieutique et cynégétique. La situation exceptionnelle du delta confirme le besoin d’une lecture spécialisée que nous faisions des régimes d’appropriation dans L’appropriation de la terre en Afrique noire (Paris, 1991).

- l’utilité à distinguer entre les normes et les pratiques effectives, les droits de première main et les droits délégués. Sous cet angle, cette recherche anticipe les orientations actuelles de la programmation internationale des travaux sur les droits de propriété et les modes de faire valoir.

- Enfin, en adoptant une lecture environnementale et en adaptant de ce fait la terminologie des maîtrises (la maîtrise indifférenciée du tableau N° 3 devenant minimale ici), les auteurs distinguent entre les statuts des espaces et les statuts des ressources puis établissent une corrélation entre ces statuts et ceux des maîtrises. Soit le tableau suivant :

 

Tableau N° 4
Les droits corrélés aux espaces et aux ressources naturelles renouvelables

(adapté du tableau N° 11 de La sécurisation foncière en Afrique, p. 163)

tableau4

 

Interprétant cette nouvelle présentation, je pense qu’il conviendrait en effet de bien distinguer dans nos analyses entre les maîtrises foncières qui portent sur la terre ou l’espace et les maîtrises fruitières qui portent sur les ressources et peuvent être éventuellement dissociées des espaces, en remettant en cause, comme certaines

législations l’ont déjà fait, le principe de l’article 552 CC établissant que la propriété du sol emporte celle des ressources du dessus et du dessous. J’en arrive ainsi, en prolongeant le tableau précédent, à identifier huit formules de sécurisation dont on peut restituer les relations en suivant l’ordre de 1 à 8, du plus simple au plus complexe..

 

Tableau N° 5
Formules de sécurisation des droits, du plus simple au plus complexe

tableau5

 

La formule 1 concerne principalement les aires protégées, 2 le pastoralisme, 3 la foresterie, 4 l’agriculture extensive, 5 l’exploitation halieutique, 6 l’agriculture intensive avec grands aménagements hydrauliques, 7 et 8 l’agriculture capitaliste pour ses fruits (7) et les surfaces foncières (8).

Dans ses travaux actuels au Sénégal oriental, O. Barrière s’intéresse plus particulièrement au statut juridique des aires protégées et propose de substituer à la maîtrise absolue un ‘droit de gestion intentionnelle’ au profit de l’État, pour contrôler les conséquences de la marchandisation.

Il approfondit la nature juridique de la gestion patrimoniale en analysant comment la combinaison d’un espace ressource et d’un espace écologique produit un patrimoine commun au groupe concerné. C’est donc, lui aussi, autour d’une redéfinition du res communis que se concentrent ses travaux.

° Dans le cadre de la préparation d’une thèse de doctorat en Droit sur le thème " Gestion patrimoniale et viabilité des politiques forestières à Madagascar ", Sigrid Aubert fait les propositions suivantes.

Elle suggère tout d’abord d’adopter le concept d’écounème proposée par Jacques Berque pour traiter " une entité relationnelle à la mesure terrestre de l’humanité, une entité qui s’établit en un réseau de relations mystiques, phénoménologiques et anthropiques. La notion d’écounème nous semble dépasser celle d’environnement dans le sens où elle peut être saisie par des sociétés qui ne placent pas nécessairement l’homme au centre de l’univers et qui ont choisi de ne pas objectiver la nature. Au travers du spectre de l’écounème, les divers éléments d’un écosystème prennent l’apparence de <carrefours relationnels>, comme autant de liens rattachés à des entités distinctes qui se noueraient autour d’un même support ".

Elle propose ensuite de lire la diversité des régimes juridiques à partir de la gestion d’un écosystème en corrélant deux variables, la nature intrinsèque de l’objet supportant le droit revendiqué d’une part, la norme que revendique l’utilisateur de l’autre. Les applications qu’elle présente à partir de son travail de terrain proposent des réponses très détaillées et très fines sur le plan des enseignements. Ceux-ci devraient être repris dans la perspective du jeu des lois pour valoriser l’impact de chacune des variables sur ce riche corpus d’informations.

Citons enfin sa conclusion qui met au clair ses choix de problématique :

" La prise en compte de l’existence de patrimoines multiples revendiqués par des personnes distinctes et reposant sur les éléments d’un écosystème considéré sous le spectre de l’écounème peut contribuer à la recherche et à la négociation d’une situation viable pour l’ensemble des acteurs concernés. (...) Le concept de patrimoine autorise la conjugaison d’échelles spatiales et temporelles variables. Il permet la prise en compte d’intérêts et d’interventions tant au niveau local qu’au niveau global, alors que la recherche de l’origine des droits attachés aux éléments de l’écosystème concerné intègre les dimensions passées, présentes et futures "...

 

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