Jackie Botimela LOTETEKA

 

L'intermédiation culturelle au tribunal pour enfants de Paris

Compte rendu du séminaire du DHDI du 16/12/1998 animé par Jackie Botimela Loteteka
(ce texte a initialement été mis en ligne sur le site du DHDI : http://www.dhdi.org)

 

Depuis deux ans, le Laboratoire d'Anthropologie Juridique de l'Université de Paris I et le Tribunal pour Enfants de Paris effectuent une expérience commune d'intermédiation culturelle. Elle porte en particulier sur la différence culturelle mais dans un but commun, celui de l'assistance éducative.

L'intermédiation culturelle fait partie du phénomène de médiation (phénomène très à la mode aujourd'hui, dont le besoin se fait ressentir partout, tant dans les cités, dans les entreprises, dans l'administration que dans la police, etc.). Mais ce n'est pas de la médiation en tant que telle. La médiation se définit comme un mode de règlement de conflits, qui fait appel à un tiers, neutre, en vue de l'émergence de solutions acceptées par les parties et élaborées avec elles. L'intermédiation culturelle, quant à elle, se définit certes comme une forme alternative du règlement de conflits, mais l'intermédiaire culturel qui fait office de médiateur n'est mandaté uniquement que par le Juge. L'intermédiaire culturel permet ainsi l'échange d'informations culturelles et fonctionnelles, donne un éclairage ethnique, en vue d'améliorer la communication entre le Magistrat et un groupe de famille issu d'une culture différente, dans le but d'une inter-compréhension. Il s'agit donc de s'interroger sur ce qui est acceptable et sur ce qu'on peut mettre en place pour qu'une communication et une compréhension entre les deux parties puissent s'établir. L'intérêt de l'intermédiation culturelle c'est de permettre au juge de mieux orienter son action sur la base de données culturelles que lui apporte l'intermédiaire culturel. L'irruption de ce type de médiation dans le champ social résulte de la crise sociale, mais aussi d'une augmentation de volume de la population africaine dans l'hexagone. En 1995, des Juges pour enfants se sont posé cette question : "qu'en est-il (quelle est la part) de la différence culturelle pour les mineurs qui comparaissent devant le Juge des Enfants ?"

Cet état de fait a ouvert la brèche à une intervention spécifique. Une première expérience a été mise en place par l'équipe éthno-psychiatrique du professeur Tobie NATHAN (Université Paris XIII). L'ethnopsychiatrie consiste à prendre en charge les familles migrantes de toutes origines dans leur propre langue, selon des manières de faire conforme à leur culture et à l'aide de concepts ou d'objets ayant cours dans leur univers culturel. Des réflexions évolutives issues de ces groupes de travail ont amené le Tribunal de solliciter le LAJP pour mettre en place et évaluer l'expérience d'intermédiation culturelle, expérience s'adressant aux mineurs d'origine africaine dont le cadre judiciaire est fixé par le nouveau code de la procédure civile.

Le fait de tenir compte de la différence culturelle devant la Justice est une démarche qui favorise l'intégration. S'adapter à une situation, c'est reconnaître des difficultés spécifiques pour mieux communiquer avec l'autre. C'est prendre en compte certaines différences pour les dépasser rapidement et favoriser ainsi le processus intégrateur.

Ordonnateur du réel de l'enfant et garant du contradictoire, le Juge des Enfants est souvent confronté à des blocages réels du fait de sa culture et/ou de sa position. Il est tenu au terme de l'art.375 al.1 du Code Civil, d'associer la famille à sa décision qui peut être frappée d'appel. Ainsi la famille doit être impliquée de la manière la plus consensuelle aux solutions préconisées. Compte tenu de ces blocages, le Juge peut avoir recours à l'intermédiaire culturel. L'initiative du Tribunal pour Enfants de paris de recourir à des intermédiaires culturels africains formés au LAJP s'inscrit dans la recherche de solutions, des meilleures solutions, qui permettront au Juge de faire la part du culturel et du pathologique. C'est également une manière d'intégrer véritablement les familles africaines dans la gestion des conflits et dans la recherche de solutions appropriées. Selon le code de déontologie des intermédiaires culturels établi par le LAJP, l'objectif de l'intermédiation culturelle est de communication et non de thérapie.

L'intervenant n'est pas un traducteur assermenté, mais un chercheur en sciences sociales prenant en charge la gestion du lien social dans des familles d'origines africaines. L'intervention d'un intermédiaire culturel dans une situation complexe permet au Juge occidental qui n'a pas nécessairement connaissance des cultures d'origine, de comprendre ce qui, dans une famille africaine par exemple, explique les comportements et les attitudes, sources de conflits. Cette intervention permettra au Juge d'éviter de tomber dans les stéréotypes. Il pourra alors juger en connaissance de cause.

L'action de l'intermédiaire culturel auprès de la famille, sera de lui expliquer la décision du Juge, ainsi que le rôle et la place de chaque intervenant dans la situation. Ce qui permettra ainsi à la famille de comprendre le fonctionnement de la Justice française et la mission du Juge et pourra peut-être la conduire à changer le rapport qu'elle a avec la loi. En transmettant les éléments de compréhension de la culture du pays d'accueil, l'intermédiaire culturel permet aux jeunes et à leur famille de mieux s'insérer dans la société française. L'intermédiation culturelle facilite donc le dialogue interculturel. Le but est de mettre un terme au monologue culturel dans lequel sont enfermés la société d'accueil et les communautés d'immigrés (ex : les familles africaines disent souvent à leurs enfants que leurs cousins germains sont leurs véritables frères et sœurs, ce qui est difficile à concevoir dans une logique occidentale. L'ethnocentrisme est la source de beaucoup de malentendus. Prenons comme exemple le placement des enfants. L'émergence de l'intermédiation permet, plutôt devrait permettre, de développer et de renforcer le lien éducateur-famille d'accueil-parent. Le but de l'assistance éducative c'est de recréer les liens parents-enfants. Or la difficulté d'un placement est souvent mal vécu par son inacceptation par les parents ou lorsque ceux-ci ne comprennent pas les raisons de ce placement. cela résulte souvent d'une absence de communication et de dialogue entre parents et institutions éducatives. Cette absence de communication donne l'impression aux éducateurs que les parents ne veulent pas s'investir dans leurs enfants et que c'est là une démission de leur part. C'est le cas de cette assistante sociale qui était choquée par le fait qu'un père ne se manifestait pas pour rencontrer ses enfants, mais qui disait les aimer. Pour un père africain, l'amour ne se manifeste pas par des gestes mais plus en donnant naissance par la transmission de la vie, de biens, d'un nom, d'une appartenance ethnique, etc.

Du côté des parents, c'est un raisonnement différent qu'ils ont vis-à-vis des institutions qui ont à charge leurs enfants. Ils pensent, pour leur part, que l'ultime volonté de ces instituions est de faire de leurs enfants des petits-blancs et de les séparer ainsi de leur famille d'origine (c'est le cas de cette mère, furieuse de s'entendre dire qu'elle devait laver les sous-vêtements de sa fille dans la machine à laver au lieu d'exiger de celle-ci de le faire à la main). La conséquence de ce manque et de dialogue est qu'aucun travail éducatif ne peut être mis en place et le placement ou la situation de l'enfant risque de perdurer. L'intermédiation culturelle, en ce qu'elle établit un lien entre l'institution judiciaire et les familles africaines permet d'arriver à des modes de règlements des conflits alternatifs basés sur la négociation et le consensus. En somme, l'intermédiation culturelle semble être la solution idéale qui permet l'établissement de liens productifs entre les institutions de la société française et les familles d'origine immigrée.

En conclusion, nous pouvons dire que l'intermédiation culturelle sert de passerelle culturelle, de pont qui permet aux deux parties, institution et famille, d'aller l'une vers l'autre.

 

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