Alain ROCHEGUDE

 

Foncier et décentralisation : Réconcilier la légalité et la légitimité des pouvoirs domaniaux et fonciers

Texte paru dans : Bulletin de liaison du LAJP, n°26, sept. 2001, pp. 13-32.

 

Enjeu de multiples débats et conflits, objet de multiples réformes législatives et/ou réglementaires, le « Foncier », depuis quelques années, avait ensuite un peu été mis de côté, notamment dans le cadre des projets financés par l’extérieur. Cette attitude était dictée par l’extrême difficulté d’aborder efficacement le sujet et surtout, d’obtenir des résultats, du moins conformément aux attentes les plus classiques du Nord, largement fondées sur l’établissement d’un droit de propriété, individualisé, formalisé. Cette situation a progressivement évolué, et l’on constate depuis quelque temps le retour du Foncier. Cette démarche a été largement pervertie par les confusions opérées à l’occasion d’interventions de non spécialistes de la question, ni même des règles juridiques, qui, compte tenu d’autres expériences et formations, ont pensé pouvoir apporter une contribution au sujet. Sans vouloir constituer un monopole pour le juriste spécialisé, il s’agit simplement de rappeler que chaque spécialité a ses exigences, ses techniques, son vocabulaire. Si chacun peut souhaiter, à juste titre apporter sa pierre à l’édifice, notamment en termes de compréhension des milieux et des situations, il faut aussi savoir mesurer les limites d’un exercice qui a eu pour effet de justifier de multiples fausses interprétations de vocabulaire et donc de concepts juridiques.

Le Foncier qui nous intéresse ici n’est pas le qualificatif qui légitime la diversité des accès au sujet, mais le substantif juridique, signifiant l’ensemble des concepts et des règles applicables à la terre, à son usage, mais aussi aux produits qui y sont normalement rattachés, par exemple les immeubles bâtis, les cultures, le pâturage. De ce point de vue, tout ce qui touche à l’appartenance et au contrôle de l’accès à la terre est évidemment essentiel. Jusque là largement limitée, du moins en Afrique, à une confrontation de deux acteurs, l’État d’une part, les personnes privées d’autre part (qu’elles soient physiques ou morales), la question foncière est aujourd’hui relancée par l’émergence, de plus en plus affirmée depuis les années 90, des acteurs public locaux, à la faveur des processus de décentralisation liés à la démocratisation. Le droit de la terre, les droit sur les terres, qui, ensemble, constituent le Foncier, apparaissent donc comme un enjeu essentiel de répartition des pouvoirs en même temps que de légitimité des acteurs publics. Le monopole de l’État est-il remis en cause ou devrait-il l’être ? Telle est la question fondamentale qui est ici posée.

Pour y répondre, il faut d’abord procéder à un état des lieux, avant d’aborder quelques propositions d’analyse et éventuellement de solution. Dans quelle mesure les dispositifs de décentralisation prévoient-ils la constitution d’un domaine propre à la collectivité locale, dans quelle mesure reconnaissent-ils à celle-ci une responsabilité et des compétences dans la gestion des terres, en milieu urbain ou rural, autant de questions essentielles qui se posent aujourd’hui, et qui renvoient nécessairement à une clarification ou, à tout le moins, à une interrogation sur les concepts fondamentaux du foncier que sont le domaine, public ou privé, la propriété, et plus généralement, la terre en tant que bien.

 

I. - L’état des lieux : Le foncier non decentralisé

D’une étude menée il y maintenant un peu plus de deux ans(1), il est ressorti clairement que de manière générale, la question de la terre, dimension incontournable de la vie politique en Afrique, n’était pas vraiment prise en compte dans les dispositifs institutionnels relatifs à la décentralisation, sauf dans quelques pays. Cette situation, qu’il convient d’illustrer quelque peu, est l’occasion de rappeler les enjeux forts du sujet. Autrement dit, il s’impose de bien identifier l’importance du Foncier dans la décentralisation, ce qui suppose que soient examinés les deux termes de la question : d’une part, la décentralisation, ici considérée à travers un certain nombre de processus africains ; d’autre part, le « Foncier », envisagé à la fois en tant que tel et comme dimension possible de la décentralisation.

 

A - Les caractéristiques de la décentralisation dans les pays africains

L’étude mentionnée précédemment a porté sur une quinzaine de pays, essentiellement francophones, mais aussi, à titre comparatif, anglophone (Ghana), et lusophone (Cap-Vert). Nous nous intéresserons ici plus particulièrement aux pays francophones, lesquels se référent à un système juridique largement normatif, inspiré du « modèle » de décentralisation « à la française ».

Cette approche juridico-administrative apparaît comme posant de multiples problèmes.

 

1 - Un modèle « standard » : la décentralisation « à la française »

Comme on vient de l’indiquer, la plupart des pays anciennement colonies françaises, se sont inspirés, dans leur démarche de décentralisation, du système mis en place dans l’ancienne métropole. La concordance du vocabulaire, des concepts, des procédures, des références, en atteste largement. D’une certaine manière, on peut dire qu’il y aurait là une sorte de standard. C’est ainsi que pratiquement tous les pays se réfèrent à la commune, laquelle pourra être, selon le cas, non qualifiée ou qualifiée d’urbaine ou de rurale. Le détail en soi n’aurait pas d’importance, s’il n’avait pas d’influence, souvent, sur les statuts fonciers et domaniaux. Cette commune, niveau de base (ou échelon de base, selon les variantes locales), est toujours une circonscription territoriale, même si certains textes la qualifient de locale. Autrement dit, partout la commune est avant tout un découpage administratif redéfini juridiquement, et doté des attributs de la collectivité décentralisée, à savoir la personnalité morale, l’autonomie financière, les compétences spécifiques, un territoire, un nom.

Le système est souvent à plusieurs niveaux : par exemple au Mali, on trouve depuis le bas vers le haut, la commune (urbaine ou rurale), le cercle, la région et le district de Bamako (assimilé à une région particulière). Si la commune ou la communauté rurale (Guinée, Sénégal, par exemple), correspondent au niveau de base, la région est fréquemment désignée comme l’échelon intermédiaire en charge de l’aménagement du territoire, de la planification économique régionale. Son organisation institutionnelle en fait bel et bien une collectivité territoriale supplémentaire, dont les compétences et la légitimité politique devraient s’articuler harmonieusement avec celles du « local »(2) et celles de l’État. Cet exercice apparaît très difficile partout, même s’il faut constater que la région est souvent mise en attente, faute de moyens pour l’organiser et la faire fonctionner. Dans le cas du Sénégal, elle vient même d’être purement et simplement mise entre parenthèses(3). Les pays qui se contentent d’un seul niveau de collectivités décentralisées sont rares ; pour l’instant le Bénin (qui met seulement en œuvre sa décentralisation)(4), et le Cameroun (depuis 1977)(5), en sont représentatifs.

 

2 - Des collectivités publiques dénuées de légitimité

Il faut bien constater que malgré les efforts de certains pays, le découpage administratif territorial en collectivités de divers niveaux qui se superposent aux circonscriptions administratives (ou parfois les remplacent), pose d’énormes problèmes de légitimité. Les nouvelles personnes morales publiques constituent des entités qui semblent tout aussi artificielles qu’a pu (ou que peut) le paraître l’état africain né de l’Indépendance. Les frontières administratives sont calquées sur celles des circonscriptions de l’État ; les compétences apparaissent comme un simple transfert de celles de ce dernier.

Surtout, l’ensemble de ce système décentralisé repose sur une équivoque fondamentale, celle de la référence communale. Dans le cas français qui a largement servi de modèle (sinon de source de textes à copier)(6), la commune avait sa propre légitimité historique, antérieure au processus de création de la circonscription administrative communale de la Révolution, qui devait ensuite se voir progressivement restituer une part de sa souveraineté en tant que communauté d’intérêts. La décentralisation dans le cas de la France a donc surtout consisté à redonner le pouvoir à des entités locales dont la légitimité était demeurée forte, mal­gré l’omniprésence de l’État. Dans le cas de l’Afrique qui nous intéresse ici, il n’en est rien, ne serait-ce que parce que la commune n’y a pas d’existence historique (sinon à l’extrême rigueur, les quatre premières sé­négalaises). La commune est partout découpée selon des normes technico-administratives qui n’ont rien à voir avec la légitimité locale, en particulier exprimée à travers la possibilité d’exercer des compétences intéressant directement les usagers.

Même le Mali n’y échappe pas. Pourtant, dans ce pays, on a pris grand soin de ne pas s’enfermer dans une logique topographique, territoriale. La démarche retenue pour identifier les communes a consisté à procéder, pendant un très long délai de temps, à des enquêtes, à des discussions, pour essayer de créer des regroupements de villes et/ou de villages qui aient un sens, qui traduisent une volonté de travailler ensemble. Les élections communales ont eu lieu sur cette base. Mais force est de constater que depuis que les communes existent, il faut constamment en ajouter de nouvelles à la liste, pour des raisons multiples et diverses, mais qui tiennent souvent autant à des questions d’exercice des compétences partagées qu’à des questions d’affinités personnelles, individuelles et collectives.

Autrement dit, la décentralisation apparaît aujourd’hui très largement comme une déconcentration plus ou moins « habillée » d’une autonomie locale qui paraît très limitée faute de base certaine de légitimité, aussi bien politique que fonctionnelle. L’énorme problème des ressources qui vient s’ajouter à ce déficit de crédibilité institutionnelle ne fait évidemment qu’amplifier le problème.

Pour terminer ce portrait un peu critique, il faut encore indiquer que partout, les communautés de vie réelles, opérationnelles, que sont les villages et autres communautés traditionnelles, sont largement ignorées par les textes. Ceux-ci ne leurs reconnaissent dans le meilleur des cas qu’un statut de circonscription administrative de base. Par exemple, au Mali, comme dans beaucoup d’autres pays, le village est l’unité administrative de base dans le milieu rural, alors que le quartier est son équivalent dans l’univers urbain. Dans les deux cas, il peut y avoir un conseil ou une autre instance plus ou moins représentative, mais elle n’a qu’une fonction consultative auprès du responsable administratif, chef de village ou de quartier, dont la nomination est de la compétence de l’autorité administrative.

La définition des compétences locales devrait pourtant jouer un rôle essentiel dans ce paysage. Au premier rang de ces compétences, devrait se trouver le « foncier » au sens large de ce terme, c’est-à-dire incluant outre la terre, les ressources naturelles que celle-ci supporte. Il est en effet en même temps un enjeu politique fort et une des données fondamentales de la vie locale. Mais comme on va le voir, là encore, il existe un fossé entre les attentes et les réalités, peut-être en raison, au moins en partie, des carences signalées ci-dessus des processus de décentralisation.

 

B - Les caractéristiques du « Foncier »

Pour mieux cerner l’ampleur et les modalités de la question foncière en milieu décentralisé, il est nécessaire de rappeler d’abord ce que représente le « foncier », un terme largement utilisé, voire galvaudé, parce que banalisé sans respecter nécessairement sa signification juridique, qui devrait pourtant en être la base.

 

1 - Le « foncier », un concept juridique multidimensionnel

Le terme Foncier renvoie à des multiples enveloppes juridiques, correspondant à au­tant des statuts, sinon de procédures, dites domaniales ou foncières, qui généralement, aujourd’hui, sont toutes conçues pour être situées au regard du droit de propriété. La présentation de cette diversité est la condition nécessaire d’une mise en perspective utile et juridiquement fondée de la question foncière dans la décentralisation.

Les enveloppes juridiques sont celles du domaine public (de l’État, des collectivités publiques décentralisées, voire dans certains pays d’établissements publics), du domaine privé des personnes publiques, du domaine privé des personnes privées qu’elles soient physiques ou morales, des terrains occupés ou revendiqués sans document écrit, et enfin des terrains vacants et sans maître.

Ces enveloppes peuvent se regrouper en deux grandes catégories : celles qui se rattachent à la propriété foncière et celles qui se rattachent aux règles domaniales. C’est ainsi que les règles domaniales vont regrouper celles qui sont relatives au domaine public, celles qui sont relatives au domaine privé, dans la mesure où celui-ci est composé de dépendances non encore soumises au régime de droit commun de la propriété foncière(7), et celles applicables aux terrains dont l’incertitude du statut ne peut les rattacher qu’au domaine privé des personnes publiques(8). Celles relatives à la propriété foncière regroupent les autres, celles appropriées au nom de personnes privées ou au nom de personnes publiques mais mises en valeur et utilisées pour les besoins propres de celles-ci.

Très fréquemment, ces règles peuvent aussi être organisées en deux catégories définies en fonction de leur champ spatial d’application, selon que celui-ci est rural ou urbain. Comme on l’a vu plus haut, il faut établir souvent un lien avec la décentralisation et la qualification des collectivités considérées, selon que celles-ci sont « rurales », comme les communautés rurales du Sénégal, ou « urbaines », comme par exemple certaines communes du Mali, du Burkina. Parmi les pays qui opèrent une distinction entre les deux zones, on peut citer par exemple le Sénégal(9), le Tchad, le Mali, le Niger, la Côte d’Ivoire(10). Cette différenciation, qui devrait correspondre à des normes techniques d’utilisation du sol et à des questions de superficie, se concrétise souvent, dans les textes, par des procédures spécifiques à chaque zone, voire par des compétences administratives de gestion différentes (c’est par exemple le cas en Côte d’Ivoire où le service en charge du Domaine urbain relève du ministère en charge de l’Urbanisme, alors que le domaine rural est géré par l’administration territoriale, relais des Domaines rattachés au ministère en charge de l’Économie et des Finances).

Il est intéressant de noter que l’ensemble de cette diversité de statuts (ou d’enveloppes), qu’il soit question de terrains urbains ou de terrains ruraux, s’organise autour d’un objectif unique, identifier des droits de propriété, celle-ci étant considérée comme l’aboutissement normal, sinon obligé(11), des différentes procédures domaniales qui correspondent à la phase conditionnelle de l’accès à la propriété.

Dans les pratiques, cet objectif de la propriété est aujourd’hui curieusement concrétisé par l’importance désormais reconnue au « papier », quel qu’il soit, émanant de quelque administration que ce soit et évoquant un lien possible entre une personne et un terrain. Au Tchad, l’attestation délivrée par le Cadastre à la fin d’un bornage est suffisante, voire le reçu correspondant au paiement des frais de cette intervention cadastrale. Au Mali, en zone urbaine, les attributaires de parcelles en permis d’habiter sont informés par une correspondance administrative dite « lettre d’attribution ». Celle-ci est devenue très rapidement, avec la bénédiction tacite de certains acteurs publics, un « papier » à partir duquel des transactions normalement liées au droit de propriété sont opérées. Au Bénin, au Congo, à la périphérie de villes comme Cotonou, Porto-Novo, Pointe-Noire ou Brazzaville, des pratiques non conformes aux dispositions légales et réglementaires font l’objet de conventions privées, soumises ensuite à une sorte d’authentification administrative, selon une procédure bien établie, permettant aux acteurs concernés de disposer d’un papier attestant non pas d’un droit déterminé, mais de la légitimité du lien juridique nouvellement créé, établissant donc une sorte de capacité patrimoniale pleine et entière. La question ne se pose même pas de savoir si les conditions juridiques de la propriété sont réunies.

L’intérêt d’un regard sur ces pratiques est double. D’abord, il permet de mettre en évidence l’importance qui s’attache dorénavant dans l’esprit des usagers du foncier (au sens large du terme, quelle que soit la traduction juridique exacte), à avoir entre les mains un document qui établisse, non pas un droit précis, légalement défini, mais une légitimité juridique, fondant la sécurisation foncière d’une part, le « droit » d’agir d’autre part. On se trouve ici dans une démarche très pragmatique, dynamique, et non plus dans une démarche de droit normatif établi. Il y a d’évidence une mutation juridique en cours, la production d’un nouveau système de droit, décalé aussi bien au regard du droit légal jusque là en vigueur, que par rapport au droit « coutumier » encore invoqué, mais pas en tant que règle, en tant que justification personnelle d’un droit à agir.

Le deuxième intérêt de ce regard sur la démarche « papier » nous semble se situer dans le comportement des acteurs publics établis légalement, institutionnellement légitimes. Là encore, le décalage est complet entre ces pratiques et le dispositif légal. Par exemple, au Bénin, les transactions juridiques telles que celles évoquées ci-dessus, notamment les « cessions », sont régulièrement soumises à une procédure d’authentification, dont le sous-préfet va devenir l’acteur principal. Des témoins sont convoqués, un écrit rédigé, une confrontation des parties organisée, à l’issue de laquelle le « papier » qui atteste de la convention privée devient un acte visé par l’autorité administrative. Des frais sont même prélevés pour cet enregistrement qui ne dit pas son nom. On retrouve là l’interprétation contemporaine d’une disposition coloniale passée de mode(12). Sauf que, et ce n’est pas le moindre des problèmes, cette pratique est généralement illégale puisque au regard de la loi de 1960(13), tous les terrains non appropriés par écrit sont présumés du domaine privé de l’État. Et c’est le représentant de l’État qui valide cette démarche, illégale sans aucun doute, mais légitime au regard du « droit à agir » de celui qui vend, puisque la pratique justement a pour objet d’établir cette légitimité à agir. Personne ne se pose la question de savoir si la propriété au sens légal est constituée. Des exemples équivalents, tout aussi intéressants, faisant intervenir des acteurs publics décentralisés, peuvent être identifiés au Congo, au Niger, au Burkina, pour ne citer que quelques échantillons.

En définitive, ces démarches dont on ne sait plus très bien comment les qualifier, — elles ne sont pas légales, assurément, mais elles ne sont pas non plus informelles puisque l’administration en est sans ambiguïté partie prenante essentielle —, qui sont parfois le fait de l’administration déconcentrée de l’État et dans d’autres cas des acteurs publics locaux, posent une question fondamentale : celle de la gestion de la terre au niveau qui paraît le plus évident, celui du « local ». Il faut donc s’interroger sur ce positionnement de la compétence domaniale et foncière dans les processus de décentralisation.

 

2 - Le Foncier, le grand absent de la liste des compétences locales

Le constat fait à travers l’examen d’une quinzaine de pays, y compris anglophone et lusophone, donc de tradition juridique différente de celles des pays francophones, est sans ambiguïté : pratiquement partout, à quelques nuances qui seront évoquées ci-après, le Foncier ne fait pas partie des compétences transférées ; l’État entend conserver la maîtrise de la terre, même si des évolutions inverses commencent d’être esquissées dans certains pays.

La gestion domaniale, plus encore que le contrôle du foncier, devrait constituer la compétence fondamentale des autorités locales, en particulier celles dites du niveau de base (lorsqu’il y a plusieurs niveaux, comme au Mali par exemple), donc la commune ou la communauté rurale. Cette compétence, on l’a dit plus haut, échappe largement aujourd’hui à ces pouvoirs publics locaux. Or, le contrôle de la terre permet d’abord l’exercice des compétences de base des collectivités, par exemple l’aménagement de l’espace, la mise en place des voiries et équipements de base, les lotissements dans les zones urbaines. C’est l’argument de fonctionnalité de la question foncière. Mais la gestion domaniale permet ensuite de créer les conditions d’une meilleure disponibilité des ressources locales. Le foncier est générateur, dans beaucoup de pays, de la majorité des ressources locales de nature fiscale, en particulier les taxes foncières, les patentes. Il est aussi générateur de ressources exceptionnelles, « extra­ordinaires », qui sont, théoriquement au moins, destinées à financer les investissements locaux, sous la forme du résultat des ventes de parcelles dans les lotissements créés par les collectivités. Celles-ci, dans les faits, sont contraintes par les difficultés budgétaires autant que par les silences des textes domaniaux, à utiliser les ventes de terrain pour boucler les budgets courants, ce qui explique la surproduction de ces lotissements au regard des besoins réels, et ces croissances souvent exagérées d’occupations spatiales urbaines non mises en valeur.

Et pourtant, dans presque tous les cas, la question de la terre n’est pas évoquée dans les énumérations de compétences, même si il est recouru systématiquement à l’affirmation du principe général de compétence pour les affaires d’intérêt local, classique en droit de la décentralisation ou des collectivités locales. Et il n’est même pas possible d’invoquer l’application d’un autre principe très contemporain, celui de subsidiarité, dans la mesure où les législations ad hoc, dans les pays concernés, affirment toutes (ou presque) la seule légitimité de l’État comme maître éminent de la terre.

Cette affirmation forte de la seule légitimité de l’État comme maître de la terre, se concrétise dans la généralisation, depuis les indépendances, d’une nouvelle notion, celle de domaine national, enveloppe multi-contenus, mais justifiant toujours une idée unique : l’État est le seul acteur à pouvoir revendiquer le droit sur les terres qui ne sont pas appropriées, et à tout le moins, le seul à pouvoir en disposer même sans les intégrer d’abord dans son propre domaine. L’invention du domaine national pour affirmer le droit étatique ou le retour du domaine éminent, après toutes les critiques formulées à l’égard de ce dernier concept, ne sont qu’apparemment paradoxaux. Le nouveau législateur a rapidement compris l’intérêt de l’État à garder le contrôle à la fois de l’espace et d’une source de revenus immédiatement accessible. Dans le même temps, il fallait bien légitimer juridiquement cette prise de contrôle, souvent équivalente à celle de l’administration coloniale dans les premiers temps de la conquête. Cette validation est à la fois politique, par référence à l’idée de Nation, celle-là même que les nouveaux États étaient dorénavant censés incarner, et juridique, puisqu’elle permet dans le même temps d’arguer de la signification juridique du domaine éminent. Cela demeure vrai même dans toutes les significations ou définitions du domaine national par son contenu. Il faut ici citer quelques-unes de ces formulations(14) pour illustrer notre propos.

On peut trouver cependant quelques pays qui ont amorcé un processus de « décentralisation » du droit sur les terres. Il y a par exemple le Sénégal. Dès 1964(15), le Sénégal a créé son domaine national : « Constituent de plein droit le domaine national toutes les terres non classées dans le domaine public, non immatriculées ou dont la propriété n’a pas été transcrite à la Conservation des Hypothèques à la date d’entrée en vigueur de la présente loi. Ne font pas non plus partie de plein droit du domaine national les terres qui, à cette même date, font l’objet d’une procédure d’immatriculation au nom d’une personne autre que l’État »(16). Ce domaine, il faut le souligner, n’est en aucun cas propriété de l’État, pas plus que le domaine public lui-même. Ce domaine national est plutôt une « enveloppe » juridique, permettant de gérer des terrains qui n’existent pas encore juridiquement au sens légal du terme, donc des terrains, y compris coutumiers, dont le statut n’a pas été clarifié publiquement, validé au regard des différents acteurs concernés, publics mais aussi privés, l’État ayant la responsabilité de protéger les droits légalement reconnus. L’article 8 de la loi de 1964 évoquait de manière peu précise les communautés rurales dont les seuls membres pourraient se voir affecter des terrains ruraux disponibles pour l’agriculture et l’élevage (des zones de terroir). Il a fallu attendre la loi n° 72-25 du 19 avril 1972, pour que soient mises en place les modalités institutionnelles relatives à la création, à l’organisation et au fonctionnement desdites collectivités. Ce texte, il faut le remarquer, n’avait pas pour effet de créer un domaine spécifique privé des collectivités en question. Il leur confiait la gestion d’une partie du domaine national, par délégation de l’État, sans permettre, de quelque manière que ce soit, un transfert de propriété ou quelque autre évolution définitive des droits sur le sol. Ce transfert au local n’était donc que relatif, d’autant que jusqu’en 1996, les décisions des conseils ruraux devaient être ratifiées par les sous-préfets.

Le Mali propose un autre cas de figure, celui d’un pays qui, en même temps qu’il procédait à sa décentralisation à partir de 1993, consacrait par une nouvelle loi la nécessité de doter les nouvelles collectivités locales de compétences domaniales et foncières(17). Il faut rappeler ici qu’au Mali, il existe trois niveaux de collectivités : la région, le cercle et la commune, laquelle peut être urbaine ou rurale(18). Chacun de ces niveaux peut disposer d’un domaine public et privé(19), ces domaines se définissant dans une sorte d’application de la subsidiarité, dont le moins qu’on puisse dire est qu’il n’est pas évident de déterminer les modalités d’application(20). Les règles applicables à ces domaines sont celles qui régissent les domaines public et privé de l’État. Cela signifie que pour les communes par exemple, l’important devrait être de disposer d’un domaine privé qui devrait se composer de terrains titrés en leur nom, soit mis en valeur, soit non encore ou seulement partiellement mis en valeur. Ce deuxième domaine, « de transition », est évidemment celui qui, stratégiquement, est le plus important puisqu’il permet à la collectivité locale de répondre aux demandes de terrain. C’est sur lui que devrait porter la présomption de domanialité qui jusque là profitait au seul État, celui aussi auquel vont s’appliquer les procédures domaniales spécifiques, dérogatoires au droit commun de la propriété. Mais la situation légale n’est pas claire sur ce point.

 

II - Concilier le foncier et la décentralisation

L’ensemble des constats effectués au point I ci-dessus semble justifier que la question des rapports entre le Foncier et la Décentralisation soit clairement reposée, en termes constructifs, ce qui pourrait se faire utilement selon deux axes : d’une part, celui de la redéfinition des pouvoirs locaux à partir des compétences, d’autre part, celui d’une nouvelle démarche d’identification juridique du Foncier, au sens large du terme. La logique fondamentale de cette double démarche pourrait donc consister à remettre en cause l’approche classique de l’organisation administrative de l’État (et donc de l’identification des pouvoirs publics locaux qui en découlent directement), fondée sur l’idée de hiérarchie des pouvoirs (et associée à celle de poupées russes), et en même temps, l’approche de la production du droit, étroitement liée à la précédente, et largement marquée, dans l’État Nation, par la référence au modèle pyramidal de Kelsen(21).

 

A - Redessiner l’organisation administrative territoriale en s’appuyant sur les compétences

La question de l’identification de la collectivité locale n’est pas nouvelle, du moins en apparence. Car les approches du sujet s’apparentent généralement à une réflexion sur la communauté (traditionnelle), considérée comme un substrat de légitimité « nationale », presque « naturelle ». Il y aurait de quoi alimenter les pensées d’un Rousseau moderne. Mais plus généralement, cela traduit certaines réflexions récentes ou actuelles sur l’État africain. Plusieurs auteurs semblent considérer ce dernier comme un échec total en tant qu’État-Nation(22) et donc qu’il y aurait lieu de le remettre en cause complètement. On rappellera pour illustrer ce point l’article « résolument polémique » (Chabal, 1998, 108) de Mwayila Tshiyembe proposant un paradigme de l’État multinational, ainsi défini : « L’État multinational n’est pas seulement un territoire, une population et un gouvernement. Il est surtout « la capacité collective rassemblée » par les nations et les citoyens, à un moment historique donné de leur évolution, en vue de faire face aux défis qui se posent à leur destin commun. Cette capacité collective se décline sous la forme d’un pouvoir institué, fondé sur des armistices sociaux (règles communes) afin de légitimer l’organisation politique de la société globale et son projet de société : promouvoir le progrès hu­main. » (Tshiyembe, 1998, 119). Pour mieux comprendre cette formule, il faut rappeler encore la signification que l’auteur donne au terme nation : « Ici, l’ethnie est la forme d’organisation sociale historique, dont la caractéristique primordiale est le couplage d’une communauté culturelle (nous et eux), avec la construction volon­taire d’une société politique. Si bien que produit de la dynamique sociale et politique précoloniale, l’ethnie est une création hu­maine égale à la nation » (Tshiyembe, 1998, 121).

Cette approche nous paraît excessive. L’État Nation modèle français ne s’est pas construit du jour au lendemain, même si les circonstances des guerres révolutionnaires puis napoléoniennes auraient pu y aider. La légitimité communale, celle des anciens pays et provinces, a d’abord été totalement remise en cause pour construire l’État, et ce n’est qu’ensuite que, très très progressivement, au rythme de l’élaboration de la Nation, a pu se développer de manière inversement proportionnelle un processus de décentralisation, et d’abord au profit d’anciennes légitimités communautaires (paroisses ou autres), désormais identifiées sous le nom de communes.

La logique que nous souhaitons ici proposer s’appuierait plutôt sur l’idée que la légitimité communautaire n’est pas forcément exclusivement (ou presque) à référence ethnique, mais plutôt fonctionnelle. Les mythes de fondation attestent pratiquement tous que le groupe (familial, familial élargi, etc.) qui constitue le village, qui s’étend en hameaux de cultures appelés à leur tour à devenir villages, fonctionne depuis sa création autour d’une double idée, celle de continuité humaine qui exige une continuité fonctionnelle, et celle du mythe religieux qui justifie cette continuité qui semble exigence humaine autant que religieuse. L’espace fonctionnel communautaire(23), celui dont les modalités d’accès aux différentes ressources qu’il propose sont soumises à des règles particulières dites coutumières, est défini par un droit de feu ou de hache, de défrichement, donc lié aux nécessités de production et/ou d’exploitation de ressources naturelles. Ces modalités coutumières intègrent pour leur part une large proportion de rites qui ne sont plus fonctionnels, mais religieux, destinés à concilier les exigences pratiques et la bienveillance des esprits, celui de la Terre entre autres.

C’est la part spatiale et fonctionnelle qui pourrait ici être utile, les deux dimensions étant étroitement liées pour identifier la communauté dans une légitimité désormais dissociée (ou en cours de dissociation) des pratiques religieuses, même si celles-ci continuent d’être utilisées. Cette démarche de fonctionnalité justifie probablement une dimension de légitimité collective au regard d’un certain nombre de domaines, aux implications personnelles ou collectives. Le Foncier est sans doute l’illustration la plus évidente de cette démarche. On peut y associer toutes les actions liées au Foncier considéré comme espace fonctionnel, et donc la gestion et l’exploitation des différentes ressources naturelles associées à la terre, comme l’eau, le pâturage, les fruits, le bois, etc. Les pratiques d’accès à ces différentes ressources, à commencer par le sol pour l’exploiter, se situent toutes, semble-t-il dans la logique de fonctionnalité, dans une logique d’agir, ce qui rejoint l’interrogation que nous avions plus haut concernant ce nouveau droit en émergence dans les zones périurbaines (mais aussi dans certaines zones rurales particulière­ment soumises à la pression foncière). La règle juridique définirait plutôt une légitimité pour agir, une capacité génératrice d’une liberté d’action proportionnelle, non nécessairement figée dans le cadre de droits et contrats strictement énumérés et codifiés.

C’est dans une telle logique que l’on pourrait alors identifier les acteurs, d’abord privés puis publics, ces derniers étant appelés à devenir des collectivités décentralisées. Le positionnement de celles-ci dans l’ensemble État serait alors le fruit d’équilibres définis entre les compétences établies comme légitimes de chaque niveau, à mettre en harmonie dans des espaces territoriaux qui sont la traduction du partage d’un espace désormais limité par le simple effet de la démographie et par, dans certains lieux, les contraintes naturelles (désertification, déforestation, etc.). La place de l’État demeure de ce point de vue essentielle ; celle du seul acteur capable, au moins en théorie, de dépasser les égoïsmes locaux pour imposer le partage, le souci du collectif difficilement perceptible au niveau local (exigences de biodiversité, utilisation d’un grand fleuve ou de nappes phréatiques, etc.), l’égalité des citoyens, la sanction nécessaire quand la négociation ne fonctionne plus, etc.

Cela suscite une autre question très importante déjà évoquée plus haut : pourquoi et comment situer un nouvel acteur public local au regard de la communauté traditionnelle qui aujourd’hui est soit une circonscription administrative de base (donc sans légitimité autre qu’étatique), soit une personne privée, morale, même si non dotée de la légalité correspondante(24). Il faudrait donc, mais c’est une démarche subtile et longue, entamer ici une réflexion sur le « public » au niveau local.

L’ensemble de la question enfin devrait être examiné avec le postulat qu’il n’y a pas forcément toujours exclusivement des acteurs aux compétences multiples et diversifiées (tout ce qui touche à l’intérêt local ou régional), mais qu’il faut peut-être envisager des acteurs publics locaux, diversifiés, aux contours variables en fonction de la, ou des, compétence(s) qui leur sont reconnue(s) La communauté traditionnelle, dans la loi GELOSE de Madagascar(25) prend une valeur de personne morale de droit privé, qui va négocier avec une commune un contrat spécifique pour gérer l’une ou l’autre ressource naturelle sur un espace foncier prédéfini dans le cadre du contrat en question (dit Dina). Bien que le texte ne le dise pas, il se pose évidemment la question de savoir s’il ne serait pas plus simple de reconnaître à la communauté en question un statut de personne morale publique à la compétence spécifique limitée. D’évidence, cela serait plus logique que de considérer qu’il faut constituer une personne morale privée, à base associative ou sociétale, pour exercer des pouvoirs sur des biens qui ne sont pas nécessairement privés compte tenu des enjeux.

Enfin, concernant l’identification et donc la répartition des compétences, on pourrait sans doute s’entendre sur le fait qu’en matière foncière et domaniale (y compris la gestion des ressources naturelles), il faudrait distinguer les responsabilités juridiques de caractère national (parce que relevant de principes constitutionnels et de­vant être assumées dans le sens d’une stricte égalité entre les citoyens), comme la sécurité foncière (selon des modalités à préciser, et qui ne se rattachent pas obligatoirement au droit dit de propriété), à la justice dès que le seuil des médiations et arbitrages locaux est passé, etc. ; et celles relevant plutôt des responsabilités locales, en terme de légitimité et de satisfaction des attentes, qui pourraient relever des collecti­vités locales, par exemple les attributions de terrains, la validation des transactions sur des terrains non encore légalisés, l’identification et la gestion des terrains vacants et sans maître.

Mais une telle démarche ne prendra pleinement son sens que dans la mesure où le droit domanial et foncier aurait lui aussi fait l’objet d’une relecture appropriée, c’est-à-dire, en corrélation avec le travail sur l’organisation des pouvoirs publics.

 

B - L’occasion de réviser en profondeur la législation domaniale et foncière

Il ne suffit pas de proposer une évolution de la question foncière dans le cadre de la décentralisation, sous la forme d’un transfert de compétences au profit des collectivités. Cette démarche devrait aussi être l’occasion de revoir la législation domaniale et foncière. Il paraît évidemment irréaliste d’imaginer rédiger de toutes pièces un nouveau système législatif. Il semble donc plus opportun de rechercher les moyens de faire évoluer des notions aujourd’hui légalement établies, mais qui devraient être adaptées aux nouveaux pouvoirs et surtout à une démarche plus tournée vers l’action que vers la norme en tant que telle. Cela devrait impliquer l’examen des différents domaines qui, on l’a vu plus haut, constituent aujourd’hui la principale pierre d’achoppement du dispositif, puis une réflexion sur l’objectif de sécurisation au regard de la propriété considérée comme référence obligée.

 

1 - La redéfinition des domaines

La question du domaine est évidemment omniprésente dans la présente démarche. Elle ne peut pas être appréhendée selon les règles et surtout l’esprit du droit français applicable à la matière(26).

Pour le domaine public, l’administration coloniale a repris les principes généraux du droit français spécifique, en adaptant ses contenus et modalités aux conditions particulières du milieu colonial. L’identification des dépendances de ce domaine, qui s’impose à tous les autres statuts, est donc le préliminaire obligatoire de toute démarche relative à la terre, qu’elle soit publique ou privée. Le débat sur la propriété du domaine public qui a beaucoup agité les spécialistes français, alimenté la doctrine comme la jurisprudence (Morand-Deviller, 1999, 22 et s.), semble devoir être considéré ici comme un faux problème et la référence à l’évolution contemporaine du droit français n’a donc pas de sens. Le domaine public demeure exclusivement ce domaine national incessible qu’avaient conceptualisé Pardessus et Proudhon. Composé de biens (naturels ou artificiels)(27) identifiés comme essentiels pour l’intérêt public ou pour les services prévus à l’usage du public, il ne saurait en aucun cas être assimilé aux biens du domaine ordinaire dont l’État (ou une collectivité par délégation) est le propriétaire. Ce maintien de la signification fondamentale du domaine, très important au regard des utilisations de celui-ci dans les pays considérés, a pour conséquence première le maintien des règles fondamentales de son régime juridique que sont l’inaliénabilité, l’imprescriptibilité et l’insaisissabilité. Certains pays comme le Sénégal affirment d’ailleurs clairement ce statut particulier du domaine public.

On doit cependant s’interroger sur la signification « quotidienne » de ce domaine, au regard des pratiques, des interprétations. Il apparaît clairement dans la plupart de pays concernés, qu’une confusion s’opère assez généralement entre le domaine public et le domaine privé qui sont tous deux « de l’État ». Une telle perception illustre bien le système dual qui s’est structuré lors de la mise en place du domaine colonial. Le dualisme n’est pas celui relevé trop souvent entre deux systèmes juridiques qui seraient d’un côté le droit colonial écrit et de l’autre le droit coutumier. Cette perception est très largement du Nord. Le dualisme s’applique plutôt concernant le type de légitimité juridique invoqué par les acteurs. L’acteur public, État, administration, a sa règle juridique qui s’applique impérativement, « hiérarchiquement », aux dépens de la règle privée. Celle-ci ne concerne que les seuls usagers, qui, selon le cas, seront des propriétaires modernes, nantis d’un titre foncier, et ceux infiniment plus nombreux qui continuent de recourir à leurs propres interprétations juridiques, plus ou moins traditionnelles. Ce qui compte, c’est l’identification d’un rapport juridique né de l’association entre l’acteur et l’acte, et non pas le cadre juridique de référence. Le cadre ne permet que de définir quel système de référence va l’emporter au moment concerné.

Le domaine privé traduit une situation par­fois ambiguë en fonction de l’exigence préalable ou non d’une appropriation affirmée, représentée par l’immatriculation (ou la « registration » dans les pays anglophones, mais on trouve aussi l’équivalent dans les pays lusophones). Mais partout, l’approche de la question est largement marquée par le souci, sinon la volonté affichée de l’État, de se constituer en maître de la terre, utilisant toutes les subtilités de l’arsenal juridique pour contrôler les terres, et en particulier celles qui n’ont pas encore accédé à la vie juridique selon le droit écrit. On retrouve ici l’influence de l’administration coloniale, mais avec des motivations évidemment bien différentes.

L’administration coloniale voulait « civiliser » et « développer ». Pour ce faire, selon sa culture, la seule solution claire était la promotion du droit de propriété, par écrit, au profit de personnes juridiques physiques ou morales, capables de gérer un patrimoine. La propriété par écrit devait progressivement supplanter les droits oraux, non formellement identifiables, baptisés de manière plus ou moins discutable droits coutumiers. C’était là, la démarche de civilisation. Dans le même cheminement, l’économie jouait son rôle, par une identification patrimoniale claire, conforme elle aussi aux canons de la société occidentale en cours de « marchandisation ». L’élaboration de procédures domaniales spécifiques, outre l’extension impressionnante des modes de constitution du domaine de l’État, constituent autant d’arguments pour une telle interprétation, dont la loi de 1946, sur l’obligation de la mise en valeur économique, ne sera qu’une illustration complémentaire.

Ce domaine privé, vivement contesté durant la période coloniale, a justifié dès les indépendances, des attitudes encore plus catégoriques des nouveaux gouvernements. Ceux-ci, se sont montrés encore plus sou­cieux du contrôle foncier. Ce comportement a trop souvent et injustement été mis sur le compte d’une certaine acculturation. Il semble bien, au contraire, que l’on doive le considérer comme une marque supplémentaire de la réinterprétation, au profit de nouveaux pouvoirs, des anciennes prérogatives de l’État colonial. A la mission civilisatrice correspond désormais l’objectif de consolidation des nouveaux États ; la terre est un enjeu de pouvoir essentiel en Afrique, et pas seulement pour sa rentabilité financière. L’enjeu économique demeure, renforcé lui aussi, comme on en trouve de multiples illustrations dans les nouvelles législations, par l’extension de la reprise du terrain, même approprié, pour défaut ou insuffisance de mise en valeur.

Cette analyse justifie sans doute aussi le fait que les gouvernements n’aient pas semblé souhaiter reconnaître des pouvoirs doma­niaux réels, ni d’ailleurs éventuellement de domaines privés, aux collectivités locales, ni aux circonscriptions administratives qui parfois en tiennent lieu. Le code domanial du Mali de 1986(28), illustre bien cette situation(29) Quelques articles seulement sont réservés à ce que pourraient être les compétences et pouvoirs domaniaux des collectivités territoriales. Celles-ci ne peu­vent disposer que des seules terres que l’État veut bien leur consentir, après les avoir immatriculées à son profit. Ainsi, depuis que les processus de décentralisation se développent dans les pays africains, les collectivités demeurent-elles le plus souvent sans pouvoirs domaniaux, leur domaine propre étant généralement limité à quelques terrains détenus dans les mêmes conditions que pourrait le faire un propriétaire privé.

 

2 - Propriété et sécurisation foncière : la nécessaire complémentarité

Nous arrivons ici au cœur du sujet domanial. Qu’est-ce qui compte en définitive, la terre en tant que bien juridique ou la terre en tant que support d’occupations qui doivent être juridiquement stabilisées, sécurisées ? Les enjeux sont multiples, comme les préoccupations et attentes des divers acteurs concernés. L’homme d’affaires, le banquier, pour ne citer qu’eux, ont besoin de certitude. Les traités OHADA(30) ne font que mettre un accent supplémentaire sur l’exigence d’un droit défini clairement, fixé avec précision, authentifié et garanti par l’État. La propriété en tant que droit déterminé, réel, peut et semble donc devoir rester un statut foncier de droit commun. Dans le même temps, pour la plupart des intervenants, la sécurité de l’occupation du terrain, pour des fins le plus souvent personnelles, d’exploitation, d’habitation, de cueillette, est l’attente essentielle. Il faut donc faire évoluer le système pour créer les conditions de satisfaction de ces diverses attentes, avec le souci de la simplicité et de tenir compte, au maximum, de la dynamique des actions plutôt que la caractérisation juridique des actes posés. Trois axes paraissent devoir être explorés, de manière corrélée : d’abord, simplifier la procédure d’inscription des droits sur un terrain immatriculé ; ensuite, proposer un mode d’établissement simplifié de la propriété ; enfin, mettre en place un système de gestion approprié des droits « coutumiers ».

– Simplifier les procédures liées à l’immatriculation et à l’inscription

Tous les spécialistes s’entendent, qu’ils soient ou non favorables à la propriété et au système du livre foncier, sur les difficultés de ce mode de gestion du droit de propriété. Lenteur, complexité, coût, sont constamment mis en avant pour justifier le faible nombre des demandes. En fait, la plupart du temps, les difficultés en question sont sur­tout le fait des fonctionnaires chargés des dossiers, pour bon nombre desquels il sem­ble urgent, pour de multiples raisons, de ne pas aller trop vite. Un terrain immatriculé est un terrain sur lequel il n’y a plus de zones d’incertitudes toujours génératrices de revenus. Les choses pourraient aller beaucoup plus vite comme le montrent bien certaines expériences devenues des prati­ques(31). Mais par ailleurs, des améliorations ponctuelles pourraient aussi simplifier les choses. Au moins trois pistes pourraient être explorées. D’abord, dans la quasi totalité des pays, la condition d’accès à la propriété est la réalisation d’une mise en valeur. Si on tient absolument à son maintien, on pourrait en faire simplement une condition de maintien du droit de propriété, autrement dit, de la sécurisation de l’accès juridique à la terre. Il suffirait dans cette hypothèse d’une clause résolutoire inscrite dans les titres lors de l’attribution de terrains neufs et d’une règle générale légale relative à toutes les occupations foncières : celle de pouvoir retirer le terrain, à l’issue d’une procédure de constat contradictoire, dès lors qu’il n’y a pas de mise en valeur appropriée. Une disposition fiscale(32) pourrait utilement compléter ce dispositif, en particulier dans les zones urbaines, permettant d’inciter avant de sanctionner. Les pouvoirs publics locaux devraient nécessairement être associés, sinon responsables de telles procédures, en particulier dans les zones urbaines.

Ensuite, dans un certain nombre de pays, comme par exemple le Tchad, le processus de l’immatriculation (ou de l’enregistrement des droits réels sur un terrain immatriculé) inclut toujours une phase judiciaire(33). Il faut une ordonnance du président du tribunal d’instance (ou équivalent) pour autoriser l’inscription. Il est clair que cette intervention du judiciaire n’a d’intérêt que dans la mesure où des contestations ont été soulevées par la publicité foncière, et qu’il faut donc les régler. On pourrait donc ima­giner supprimer cette intervention lorsqu’elle n’est pas justifiée.

Enfin, lorsque les transactions juridiques portent sur des terres domaniales appartenant à des acteurs publics (État ou collectivités), en particulier lorsqu’il s’agit de terrains nouvellement aménagés, lotis, et qu’il convient de mettre en valeur, il est évident qu’il n’est pas nécessaire de refaire toute la procédure de publicité conçue pour les transactions entre particuliers, puisque le terrain concerné se situe généralement dans une zone qui vient d’être immatriculée au nom de l’État (c’est désormais une obligation dans pratiquement tous les pays concernés par ce type d’opérations). Il faut simplement ici savoir qu’une telle approche ne rencontre généralement pas un bon accueil de la part de certains acteurs, notamment du Cadastre, qui y voient une forte déperdition potentielle de leur capacité de négociation foncière !

– Stabiliser et sécuriser les droits non écrits (coutumiers, informels, …)

Mais il est vrai que l’immatriculation et le livre foncier ne sont pas de nature à permettre de régler tous les problèmes, à commencer par ceux qui se posent aux plus défavorisés (et ils sont nombreux), notamment dans les quartiers informels ou spontanés selon l’expression d’usage localement, ou dans les zones non encore structurées. Il apparaît donc nécessaire de prévoir d’autres modalités que celles de l’immatriculation, en particulier pour les zones « fragiles » ou non encore vraiment structurées (par exemple bidonvilles), dans lesquels les « droits » ne sont pas coutumiers, s’ils l’ont jamais été, compte tenu de la manière d’occuper l’espace en négociant avec des détenteurs « modernes » de l’autorité (chefs de quartiers nommés, etc.).

L’objectif devrait être ici de sécuriser les occupants, en mettant en place une procédure de reconnaissance de la légitimité de l’occupation, donc d’une formalisation de la propriété autre que celle reconnue par la double démarche d’identification topographique du terrain par la bornage (première occasion de pressions sur l’occupant, mais aussi première occasion d’obtenir un « papier » avec les inconvénients indiqués plus haut), et de l’inscription du droit ou des droits réels juridiquement établis et vérifiés au livre foncier. Il faudrait donc envisager ici un constat simple de l’occupation, de l’identification de l’occupant, de la légitimité juridique de son positionnement, mais sans pour autant émettre un titre foncier lequel pourrait être remplacé par un certificat d’occupation valant reconnaissance du droit, sans en garantir les limites foncières, ni le caractère incontestable. Il serait naturellement possible, en s’appuyant sur ce certificat, d’évoluer vers le titre foncier, en cas de nécessité, notamment pour des besoins de crédit bancaire. Les instruments techniques actuels (cartographie polyvalente après photo-restitution, numérisation parcellaire, enquêtes RFU ou SIF, etc.) sont désormais bien rôdés et permettent de mener à bien des opérations de régularisation juridique dans un but de sécurisation, dans des délais et à des coûts raisonnables. Il manque par contre la volonté politique et les textes qui doivent la traduire, de donner une recon­naissance juridique à des occupations ainsi établies comme légitimes(34).

Cette proposition rejoint d’une certaine manière la démarche à envisager pour la stabilisation des droits dits coutumiers ou à référence coutumière. Ces derniers peuvent parfois s’apparenter à la situation, mais ce n’est pas toujours le cas.

– Élaborer une nouvelle gestion des droits dits « coutumiers »

Les droits « coutumiers » posent un sérieux problème. L’expression renvoie en effet à une multiplicité de situations, d’actes, de revendications, qui ne se réfèrent expressément ni à des lois (ou règlements), ni à des pratiques publiquement et officiellement établies (c’est-à-dire, dans des conditions qui les rendent incontestables à l’égard de tous les usagers, quels qu’ils soient), qui par ailleurs, s’appliquent généralement de manière localisée et « personnalisée ». Il n’est donc pas surprenant de constater que ces « droits » sont variables au rythme des actes qu’ils sous-tendent, en fonction des temps, des lieux, des motivations. Des changements fondamentaux sont survenus les concernant et le temps où ils partageaient presque tous un interdit d’exocessibilité ou transmissibilité est manifestement terminé. Les transactions évoquées plus haut dans le présent texte, dans les zones urbaines, périurbaines, mais aussi rurales sensibles, n’en sont que des illustrations. Ces dimensions ont été rendues plus complexes depuis un certain nombre d’années par l’accent important mis sur le développement durable et sur la conservation/valorisation des ressources naturelles, renouvelables sous réserve de n’être pas surexploitées ou éliminées faute d’intérêt local. La décentralisation et la naissance de pouvoirs publics locaux ont évidemment encore accru l’intérêt de ces débats.

Il est résulté de tout cela de multiples travaux et analyses d’intérêt variable, portant sur la signification, l’interprétation, les possibles conditions de reconnaissance de ces droits. Il faut rappeler ici en particulier les travaux relatifs aux maîtrises foncières menées par le LAJP sous la direction d’Étienne Le Roy(35), ceux sur la patrimonialité menés dans le même cadre(36), mais aussi, dans un cadre plus administratif, le programme sur les « droits délégués » conduit par le Comité de pilotage du Foncier rural de la direction du Développement du ministère des Affaires étrangères. Il paraît donc important de revenir sur la question et d’essayer de proposer des modalités de validation des démarches auxquelles on peut reconnaître une signification juridique, alors qu’elles ne rentrent pas dans les dispositifs instrumentaux et procéduraux.

Le seul point commun de ces actes semble consister dans la référence à des droits dits « coutumiers », du moins revendiqués comme tels. En fait, comme on l’a expliqué plus haut, il s’agit d’actes, qu’il faut bien dire juridiques puisqu’ils sont générateurs de droits et d’obligations, mais qui ne correspondent pas aux nomenclatures légales. De surcroît, la plupart du temps, ces actes portent sur des terrains (ou sur l’usage de ceux-ci), qui ne sont pas des biens juridiques, du moins au sens légal(37). Il est vain d’espérer, au moins à court terme, que tous les actes fonciers portent sur des terrains régularisés juridiquement. Il est tout aussi vain d’espérer que les détenteurs de ces terrains vont se précipiter pour engager des procédures conformes à la loi. Il est sans doute encore plus vain d’espérer que les administrations (que ce soient celles locales ou nationales), responsables de la gestion domaniale et foncière soient capables (et aient la volonté) d’assurer toutes les démarches, en particulier de contrôle, qui sont indispensables au fonctionnement légal du marché foncier.

Il est par ailleurs peut-être absurde d’essayer de généraliser des pratiques légales dont on a par ailleurs souligné les limites. Il semble donc ici plus opportun de proposer de rechercher l’élaboration d’un système juridique qui prenne plus en compte la légitimité des acteurs, non point leur capacité, mais leur droit personnel à agir de manière juridiquement acceptable. Le droit devrait donc être élaboré en se référant aux pratiques actuelles, en particulier celles cautionnées à la fois par les usagers et certains acteurs publics locaux ou représentants de l’État. Cette légitimation de droits que l’on dit souvent délégués, mais qui sont plutôt dérivés, car ils se rattachent à une tradition coutumière, apparaît comme la seule voie suffisamment dynamique et fluide pour être acceptée par les différents intervenants.

Elle suppose que l’on ne fasse plus une fixation sur le bien objet de l’acte. Le terrain en tant que tel, dûment identifié topographiquement (et donc légalement) par la procédure de l’immatriculation, ne peut pas continuer d’être le seul bien immobilier possible. Le terrain existe même si les bornes ne sont pas fixées par un géomètre privé ou public. De multiples expériences montrent bien que les occupants connaissent en général les limites de leurs parcelles contiguës, et de surcroît les bornes ne règlent pas forcément les conflits. Là encore, les exemples abondent. Le nouveau système devrait donc confirmer la légitimité personnelle ou familiale, confirmée par le temps, les pratiques et les témoignages, d’une occupation de fait, seule à même de justifier un droit à la fois réel et personnel, susceptible de fonder des transactions nouvelles. Les procédures de reconnaissance de cette légitimité sont donc à inventer ou à constater et à modéliser là où elles existent déjà.

Ces démarches devraient a priori relever du local : le quartier, le village, avec une gestion administrative au niveau de l’acteur public collectif institutionnellement reconnu. Là encore, on se trouve devant une nouvelle configuration d’élaboration du droit. La loi de l’État, dans une telle démarche, devrait en effet se conjuguer avec des « lois » locales, tout aussi légitimes et donc pertinentes, permettant une meilleure inté­gration des pratiques, et donc facilitant l’harmonisation progressive du droit national. La démarche française qui a consisté à remplacer les coutumes par des codes uniques, et en particulier par le code civil, est ici complètement décalée au regard des moyens, des volontés, des compréhensions et des attentes. Il n’y a pas de « projet na­tional » d’une envergure telle qu’elle permette de dépasser les difficultés.

 

Conclusion

Au terme de ce cheminement, la terre appa­raît tout à la fois comme une fin et un moyen du pouvoir local. La compétence domaniale et foncière suggère que le pou­voir public local ne peut avoir de sens que s’il est en charge de celle-ci ; mais dans le même temps, ce pouvoir public local semble ne pouvoir être réellement identifié que comme étant celui qui est en charge de cette même compétence domaniale et foncière. Pour prendre un autre vocabulaire, il faut qu’il y ait une corrélation entre la légalité et la légitimité, celle-ci pouvant se décliner en diverses formes et occasions. Cette analyse ne peut déboucher qu’à une seule condi­tion : que la compétence locale sur la terre soit déterminante d’un niveau de compé­tence publique, au moins pour la partie domaniale, la partie foncière, celle relative à l’authentification et à la garantie de la propriété, quelle que soit la forme de celle-ci, ne pouvant relever que de l’échelle étatique, de manière à garantir l’existence d’un droit souvent reconnu constitutionnelle­ment, mais aussi, l’égalité entre les citoyens.

Cette proposition suggère que dans les dé­marches de décentralisation aujourd’hui menées, une attention plus grande soit portée à la question essentielle de la terre. Dans la même logique et en corollaire, cela suggère aussi qu’il soit tenu compte, de manière très attentive, dans les travaux de réforme ou de refonte de la législation domaniale et foncière, des paramètres de la décentralisation que sont l’identification des acteurs locaux et celle des compétences à eux reconnues. Une telle démarche n’est pas si révolutionnaire que cela compte tenu de l’état des pratiques actuelles telles qu’on les a décrites dans le texte, du moins si on considère les contenus à élaborer et l’esprit dans lequel il faut le faire. Une telle démarche peut être menée à l’occasion des processus de mise à jour des dispositifs de décentralisation (le Burkina Faso a déjà procédé ainsi), comme des systèmes doma­niaux (notamment à la faveur des projets urbains ou d’aménagement rural).

Par contre, il faut bien mesurer que pour des États dont l’unité est une exigence essentielle, toujours fragile à maintenir lorsqu’elle est enfin établie, il y a là un énorme défi. Il s’agit en effet de remettre en cause plusieurs principes d’organisation juridico-administrative : d’abord celui de la hiérarchisation normative : constitution, loi, règlement, elle-même rattachée à la hiérarchisation de pouvoirs publics détenant leur légitimité de la Constitution ou à défaut, de la loi ; ensuite celui de la nécessaire similarité entre les pouvoirs publics aux différents niveaux, dans les modes d’organisation, dans la détermination des compétences, dans la délimitation des territoires.

 

Notes

(1) Les résultats de cette étude réalisée par l’auteur du présent article, ont fait l’objet de deux publications en mars 2000 : Décentralisation, acteurs locaux et foncier ; Mise en perspective juridique des textes sur la décentralisation et le foncier en Afrique de l’Ouest et du centre, et, Décentralisation, acteurs locaux et foncier ; Fiches pays. Une version anglaise de la première publication qui est la synthèse de l’étude, existe également. Les résultats de l’étude ont été présentés en mars 2000 à Cotonou, dans un séminaire récemment publié : Décentralisation, foncier et acteurs locaux ; Actes de l’Atelier de Cotonou (22-24 mars 2000).

(2) Le terme local est très souvent utilisé pour qualifier la collectivité du niveau inférieur, par opposition au régional ou au national. Plus précisément, il semble opportun d’utiliser local pour qualifier ce qui est identifié comme rattaché précisément à un lieu donné.

(3) Un conseil présidentiel tenu à Dakar, début mars, a en effet pris la décision de suspendre la décentralisation régionale, considérée comme inutile et impossible à financer en l’état actuel des choses.

(4) Dans le cas du Bénin, il s’agit d’un choix institutionnel délibéré, fondé sur le souci de mener à bien cette opération de transferts de compétences au niveau local. L’hypothèse d’un autre niveau, régional par exemple, n’est pas exclue, mais il ne sera examiné qu’au vu des résultats de l’implantation des communes.

(5) Le Cameroun dispose en effet de communes urbaines depuis 1974 (Loi n° 74-23 du 5 décembre 1974, portant organisation communale, ensemble ses divers textes modificatifs), qui sont dotées de l’essentiel des caractéristiques des collectivités décentralisées. Il faut cependant remarquer que les communes les plus importantes sont dotées d’un statut particulier, soit celui de communauté urbaine, et placées sous l’autorité d’un délégué du gouvernement qui détient les prérogatives et responsabilités de l’exécutif local. Des travaux sont en cours depuis plusieurs années pour instaurer une véritable décentralisation. Ils ont abouti à un projet de texte qui donnait la première place aux régions, ce qui a provoqué le retrait du projet. Celui-ci est aujourd’hui de nouveau en chantier.

(6) Cela s’explique en particulier par le fait que dans nombre de pays, des assistants techniques français ont été postés pour appuyer l’élaboration de ces textes. Or il s’agissait le plus souvent de sous-préfets ou de secrétaires généraux de préfecture qui n’avaient que très rarement une réelle connaissance du contexte local. En outre, les responsables africains en charge du dossier ont généralement tendance à se référer aux mêmes textes qui se rattachent à une culture administrative qui est un peu la leur.

(7) Il s’agit des terrains non mis en valeur ou insuffisamment mis en valeur qui ne peuvent être attribués à des personnes physiques ou morales, que selon certaines procédures de transition, comme les permis d’habiter, les permis d’occuper, les concessions. Dans tous ces cas, il s’agit d’exiger la réalisation de conditions de mise en valeur, dans un délai déterminé, ces conditions étant fixées par l’administration dans l’acte administratif ou dans un cahier des charges joint. La réalisation de la mise en valeur atteste que l’occupant provisoire est digne de devenir propriétaire. Cette mise en valeur, dont la non-réalisation est susceptible d’entraîner le retrait du terrain, est aujourd’hui largement discutée, sinon remise en cause, du moins comme fondement de procédures transitoires difficiles à gérer, à contrôler, et à faire respecter si un retrait du terrain devait s’imposer.

(8) Il faut dire des personnes publiques, car si généralement, il s’agit de l’État (comme c’est le cas dans le code civil français), dans certains pays il peut s’agir des collectivités décentralisées. C’est par exemple le cas à Madagascar ou au Mali, sous certaines conditions.

(9) Au Sénégal, la distinction est d’autant plus importante qu’elle renvoie à la diversité des collectivités décentralisées. Les communes urbaines s’occupent des terrains urbains, placés sous un régime ad hoc, et les communautés rurales sont chargées des affectations (attributions strictement personnelles) des terrains ruraux.

(10) Ce dernier pays a même institué un domaine foncier rural par la Loi n° 98-750 du 23 décembre 1998, relative au domaine foncier rural (et ses différents décrets d’application), laquelle a surtout été remarquée parce qu’elle excluait les non-Ivoiriens de l’accès à la propriété foncière en milieu rural, ne faisant ainsi que confirmer des pratiques déjà bien établies, même si non proclamées.

(11) C’est le cas dans les pays où l’immatriculation est obligatoire après la mise en valeur constatée du terrain attribué dans le cadre d’une procédure provisoire. C’est par exemple le cas au Tchad pour les terrains donnés en concession rurale, mais il ne s’agit pas là d’un cas unique.

(12) Il s’agit en fait de dispositions tirées du Décret du 15 novembre 1935, portant réglementation des terres domaniales en AOF, dont il est fait une interprétation moderne assez souple, qui ne respecte assurément pas les autres conditions générales du décret. On ajoutera que celui-ci est supposé avoir été abrogé.

(13) Loi n° 60-20 du 13 juillet 1960, fixant le régime des permis d’habiter au Dahomey

(14) Pour illustrer cette variété des contenus du domaine national, on peut citer quelques cas. Au Cameroun, par exemple, le domaine national comprend tous les terrains qui ne sont pas domaine public, pas domaine privé, pas appropriés selon la loi, donc tous les terrains « vacants et sans maître », auxquels il faut ajouter les terrains coutumiers, sous réserve que leurs détenteurs ne puissent accéder à la propriété. Au Gabon, le domaine national inclut le domaine privé et le domaine public de l’État, plus les terrains vacants et sans maître, ce qui ne signifie pas les doits coutumiers. Au Mali, le domaine national est le cadre juridique qui accueille l’ensemble des terres classées en fonction de leur statut foncier, aussi bien public que privé, domanial que foncier.

(15) Loi n° 64-46 du 17 juin 1964, relative au Domaine national. Il faut y ajouter son décret d’application n° 64-573 du 30 juillet 1964, fixant les conditions d’application de la loi 64-46 du 17 juin 1964.

(16) Cf. art. 1 Loi n° 64-46 précitée.

(17) Loi n° 96-050 du 16 octobre 1996, portant principes de constitution et de gestion du domaine des collectivités territoriales.

(18) Cf. l’article 1 de la Loi n° 93-008 du 11 février 1993, déterminant les conditions de la libre administration des collectivités territoriales en République du Mali.

(19) Cf. article 12 de la Loi n° 93-008 précitée.

(20) Le domaine des collectivités peut être public et/ou privé. Il comprend les biens acquis ou attribués par la loi, mais comme certaines dispositions d’attribution ne sont pas d’application évidente, le législateur ajoute un principe général d’identification des biens en fonction de « l’intérêt de… ». Il convient alors de distinguer selon les niveaux d’intérêt lesquels s’emboîtent les uns dans les autres. En effet, l’article 2 de la Loi n° 96-050 précitée précise que « Un bien présente le caractère d’intérêt national lorsqu’il est d’utilité publique pour l’ensemble de la Nation » ; l’article 3 stipule qu’ « un bien présente le caractère d’intérêt régional lorsque son utilisation intéresse plusieurs cercles… » ; l’article 4 : « un bien présente le caractère d’intérêt de cercle lorsque son utilisation intéresse plusieurs communes sises dans les limites territoriales du cercle … » ; et enfin, l’article 5 : « un bien présente le caractère d’intérêt communal lorsque son utilisation intéresse une seule commune. »

(21) Il peut être utile ici de citer Kelsen (1962, p. 299) : « L’ordre juridique n’est pas un système de normes juridiques placée toutes au même rang, mais un édifice à plusieurs étages superposés, une pyramide ou hiérarchie formée (pour ainsi dire) d’un certain nombre d’étages ou couches de normes juridiques. Son unité résulte de la connexion entre éléments qui découle du fait que la validité d’une norme est créée conformément à une autre norme repose sur celle-ci… »

(22) Nous ne souhaitons pas partager cette opinion trop négative. Ce n’est parce que certains politiques ont abusé ou abusent du pouvoir public qui est celui de l’État, que les services publics ne fonctionnent que de manière très limitée, que le concept même d’État est en soi critiquable. On confond encore une fois l’instrument et ceux qui en ont la charge. Un certain nombre d’États ont atteint un stade d’existence qu’il paraît quelque peu irréaliste, sinon dangereux, de vouloir remettre en cause, par delà les difficultés économiques, les défauts politiques. Le Sénégal nous en donne un bon exemple, mais il n’est pas le seul. Les tensions autonomistes ne sont pas le monopole de l’Afrique, mais sont plutôt inhérentes au concept d’État lui-même, non comme concept, mais tel qu’il résulte de l’histoire et de la manière dont il est ensuite assumé. C’est d’ailleurs pourquoi il est important, semble-t-il, d’organiser l’État à partir de la coordination de niveaux de compétences clairement assumés. Le pouvoir public local ne peut pas être le substitut de l’État, pas plus que l’ONG ou toute autre forme de société civile.

(23) L’espace est ici opposé au territoire, considéré comme fini topographiquement, par des limites déterminées selon un processus légal. Ce territoire est classiquement une dimension obligée de la collectivité décentralisée. Même si l’espace n’est plus aujourd’hui illimité, du moins dans bon nombre de pays africains, il faudrait s’interroger sur la pertinence d’une identification fonctionnelle et spatiale à géométrie variable, ce qui ne devrait pas exclure, bien au contraire, la légitimité institutionnelle de la même collectivité.

(24) Madagascar nous propose un exemple de cette approche, avec le statut fait aux collectivités traditionnelles lorsqu’elles souhaitent passer un contrat de gestion des ressources naturelles avec une commune, acteur public local reconnu. On trouve une démarche un peu semblable au Mali lorsqu’une communauté traditionnelle veut faire reconnaître et enregistrer des droits fonciers coutumiers collectifs. Dans les deux cas, le législateur invite la communauté concernée à se déclarer comme personne morale. Dans les deux cas d’ailleurs, le même législateur a omis de préciser à quel statut cela renvoyait. Un statut sui generis ? La question posée est intéressante à plus d’un titre.

(25) Loi n° 96-025 du 30 septembre 1996, relative à la GEstion LOcale SEcurisée des ressources naturelles renouvelables

(26) On peut d’ailleurs saisir cette occasion de rappeler que c’est à tort que l’on a, pendant si longtemps, affirmé que le droit domanial, français, se serait opposé au droit coutumier, local. De fait, l’administration coloniale a inventé et fait évoluer un ensemble de règles spécifiques, constituant un droit original, à géométrie variable en fonction de l’évolution du milieu d’application. Ce droit n’a gardé du droit français que la double référence au domaine public et au domaine privé, mais en en modifiant totalement les applications et interprétations de manière à se donner les moyens de contrôler un contexte foncier totalement différent de celui métropolitain. Les territoires coloniaux étaient, pour les administrateurs coloniaux, « vacants », « sans maître », du moins au sens d’un système de droit écrit fondé sur la propriété du code civil. Il faut donc souligner la prééminence de ce droit domanial qui, par son interprétation, était seul capable de générer des terrains susceptibles d’être appropriés privativement, selon des modalités variables.

(27) Il faut souligner ici l’importance accordée dans les législations et réglementations coloniales relatives au domaine public. Le colonisateur a tout à la fois renforcé la distinction entre le domaine public et le domaine privé, et par ailleurs, a largement renforcé le rôle de préservation et de protection de certaines dépendances fragiles ou rares comme les ressources en eau ou forestières.

(28) Loi n° 86-91/AN-RM du 1er août 1986, portant Code domanial et foncier, modifiée par l’ordonnance n° 92-042/P-CTSP, du 3 juin 1992. Ce code a fait l’objet d’une « relecture » qui a abouti à un nouveau texte adopté en 2000, mais dont le contenu n’est pas foncièrement différent.

(29) Et pourtant, ce n’est pas faute d’en avoir discuté. L’auteur du présent article a participé à certaines discussions relatives au code domanial alors en cours d’élaboration. Il a lui-même soulevé la question de ces acteurs publics locaux et de leur souhaitable participation à la gestion domaniale et foncière. Il était manifestement trop tôt, même si quelques timides dispositions ont finalement été insérées dans le code en question. Il faut dire qu’à l’époque, la décentralisation n’était pas autant d’actualité et que, par ailleurs, la principale préoccupation était de savoir comment améliorer les recettes foncières de l’État dans un pays qui refusait et continue de refuser la taxe foncière.

(30) Il faut rappeler que l’Organisation pour l’Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique, en abrégé OHADA, est née du traité de Port-Louis le 17 octobre 1993. L’organisation a adopté le 17 avril 1997 son Acte uniforme portant organisation des sûretés. Ce nouveau texte de droit des affaires commun à 16 États membres, confirme clairement le rôle essentiel donné au titre foncier comme garantie de nature immobilière (ou réelle). Selon l’article 119, alinéa 1 de l’Acte uniforme, « seuls les immeubles immatriculés peuvent faire l’objet d’une hypothèque, sous réserve des textes particuliers autorisant l’inscription provisoire d’un droit réel au cours de la procédure d’immatriculation, à charge d’en opérer l’inscription définitive après l’établissement d’un titre foncier ».

(31) Au Mali, par exemple, l’Agence de Cessions Immobilières (ACI), qui est une société d’économie mixte, a mis sur le marché depuis de très nombreuses années, dans des ventes aux enchères hebdomadaires, des milliers de terrains de niveau d’équipement variable (et donc à des prix ajustés en conséquence). Ces terrains sont vendus sur la base du prix domanial plus une marge liée à l’équipement. Ils sont livrés dès réception du paiement, dans un délai maximal de six semaines, par la remise à l’acquéreur du titre foncier. Dans le même pays, il était courant jusque là d’attendre plusieurs années pour avoir un titre, dans des conditions dénoncées par la quasi-totalité des usagers. Le système, longtemps cantonné à Bamako, est en cours de généralisation dans les autres villes du pays. Il se déroule, il faut le souligner, dans le cadre d’un partenariat ACI/État/collectivité décentralisée.

(32) On notera que cette disposition existe dans certains pays (ou a existé), mais qu’elle est rarement utilisée de manière systématique. Par ailleurs, les taux de taxation ne sont pas réellement dissuasifs.

(33) Cette question de la dimension judiciaire de l’immatriculation et de l’inscription des droits a fait l’objet de beaucoup de débats dans l’administration coloniale française (mais aussi chez certains théoriciens). Pour certains, il fallait impérativement associer la justice pour valider la part juridique des actions d’immatriculation ou d’inscription ; pour d’autres, cela ne correspondait à rien dans la mesure où il n’y avait pas de contestations. Le débat a été rendu plus complexe par la double origine du système du livre foncier : d’une part, les lois prussiennes (ou système allemand), lesquelles historiquement se sont appuyées sur le tribunal pour tenir les livres fonciers, et d’autre part la référence australienne de l’Act Torrens, strictement administrative, sauf litige. Dans les colonies françaises, cela s’est concrétisé dans des choix variables selon les lieux et les moments : par exemple, en Tunisie, le choix a été celui de l’immatriculation exclusivement judiciaire, par une juridiction spécialisée, (loi foncière du 1er juillet 1885) ; au Maroc (Dahir du 12 août 1913) ou en Afrique de l’Ouest (décret du 24 juillet 1906, remplacé par celui du 26 juillet 1932), l’immatriculation a été conçue comme strictement administrative ; enfin, à Madagascar, le choix a été moins définitif puisqu’en 1943, l’immatriculation est devenue mixte selon qu’il y avait ou non des difficultés, après avoir été exclusivement judiciaire (décret du 16 juillet 1897, mais par une juridiction de droit commun).

(34) Il ne s’agit pas ici de pure spéculation. Les opérations ne manquent pas pour illustrer l’utilisation de tels outils. En outre, l’auteur a eu l’occasion en 1994, au Cameroun, de mener une opération de ce genre le long du couloir routier qui relie Yaoundé à Nsimalen (aéroport international). Cette zone devenait l’objet de fortes spéculations et il fallait y remédier. Un inventaire a donc été mené, en quelques semaines, portant sur quelques huit cent parcelles, par des équipes associant des personnels des administrations (notamment Cadastre et Domaines), et des contractuels privés. Cette opération a permis de recenser les limites physiques et non discutées des terrains, d’identifier les occupants reconnus comme légitimes. Environ 10 % de cas litigieux ont été relevés, dont la plupart ont pu être réglés sur place, par des discussions dans les villages concernés. Il ne manquait pour aller au bout du processus que l’établissement d’un certificat d’occupation, établissant la légitimité de celle-ci, et susceptible d’évoluer vers la propriété. Les autorités locales n’ont pas jugé souhaitable cette évolution qui pouvait remettre en cause le titre foncier. Ce qui n’était évidemment pas l’objectif ! pas plus que la conséquence obligée.

(35) Comme le rappelle É. Le Roy, dans La sécurisation foncière en Afrique, ces travaux ont fait l’objet de documents élaborés durant les années 70, par le LAJP, mais qui sont restés de la littérature grise. Parmi ces documents, on peut citer notamment : - Le système d’exploitation des sols en Afrique noire ; - Le système de distribution des produits de la terre en Afrique noire ; - Le système de répartition des terres en Afrique noire. La théorie de maîtrise foncière a par ailleurs été présentée dans l’ouvrage collectif La sécurisation foncière en Afrique, en 1996.

(36) La patrimonialité est exposée, de manière résumée, dans le même ouvrage sur la sécurisation foncière évoqué à la note précédente.

(37) Dans la plupart des pays, il faut rappeler que l’immatriculation est la condition d’accès du terrain au statut de bien réel, susceptible de rentrer dans le commerce juridique. En effet, cette procédure réunit deux démarches fondamentales : une délimitation topographique précise, par le bornage, et la validation de la situation juridique, autrement dit des droits qui s’exercent sur le terrain en question, de manière contradictoire et publique, pour «purger » les éventuels litiges ou contestations.

 

Références bibliographiques

CHABAL P., 1998, Introduction au texte de Tshiyembe, Politique africaine, n° 71, octobre 1998, p. 108.
GASSE V.,1971, Les régimes fonciers africains et malgaches ; Evolution depuis l’Indépendance, Paris, L.G.D.J., 332 p.
KELSEN H., 1962, Théorie pure du droit, trad. C. Eisenmann, Paris, Dalloz.
LE ROY E., KARSENTY A, et BERTRAND A. (dir.), 1996, La sécurisation foncière en Afrique – Pour une gestion viable des res­sources renouvelables, Paris, Karthala, 388 p.
MORAND-DEVILLER J., 1999, Cours de droit administratif des biens, Paris, Montchrestien, 919 p.


 

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